John aux Quartiers d’Ivry, souffrances d’un adolescent
John est le cri de désespoir d’un adolescent d’aujourd’hui. Interprété par Damien Gabriac, il bouleverse le public et le court final de Julie Moreau dans le rôle de la grande sœur illumine par sa présence et son verbe.
Le texte a été écrit par Wadji Mouawad en 1997, c’est-à-dire à pas même trente ans. L’auteur, ayant reçu une commande sur le thème de l’intolérance, avait choisi l’intolérance envers soi-même, « le dégoût de sa propre vie et le chagrin insondable des humiliations silencieuses ». A l’écoute des détresses juvéniles pouvant conduire si promptement à franchir l’acte irréversible du suicide, Wadji Mouawad a su capter le grondement de fureur mêlé à la demande d’amour. Le rejet de la famille, la solitude dans la fratrie, le sentiment d’être incompris, la découverte de l’abandon amoureux, les grandes lignes sont celles du drame malheureusement ordinaire, avec son vocabulaire cru et réaliste, ses invectives brutes et sa peine aveuglante, écrasante, qui enferme et rend sourd au bruissement du futur.
Damien Gabriac dans le rôle de John est cet adolescent à la fois hurleur et tremblant, rageur et fragile. Jeune comédien, il a été formé à l’Ecole de Théâtre de Rodez puis par Stanislas Nordey. En une heure, il déverse avec une épaisseur saisissante la palette des sentiments extrêmes qui précèdent l’irréparable. Dirigé par Stanislas Nordey et concentré sur la parole, assis devant une caméra comme tentant de laisser un ultime message, il lance un vain appel à ses parents et à ses proches.
Montée d’abord dans le cadre du programme Education et Proximité, la pièce, tout en pouvant incontestablement éclairer un public adolescent en proie à ces vulnérabilités, s’adresse à tous les âges. Des jeunes peuvent s’y reconnaître, de même que des adultes qui se sentent impuissants face à ces tourments au bord du gouffre. Familles et société sont interpellées par le flot de reproches et de douleurs. Les souffrances du jeune Werther, sous la plume de Goethe, avaient touché toute une génération romantique au 19e siècle, la poussant même parfois jusqu’au terme de ses impasses. Ici, le texte et la mise en scène sont à l’opposé, directs, sans fard, selon les mots et les maux contemporains mais, par bonheur s’il en est, ce flot frontal et sans filtre ni recul est contrebalancé par le surgissement final de Nelly, la grande sœur. Elle est interprétée par Julie Moreau, dont la présence est forte, sobre et intense, et dont la langue subitement aérienne oriente le désespoir vers un autre possible. Vitale et poignante quoique blessée, Nelly jette tout à coup un autre éclairage sur la douleur qui a précédé, apportant furtivement mais salutairement un regard et une humanité salvateurs.
Emilie Darlier-Bournat
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