Maguy Marin : “May B” revient, sur scène et à l’écran
Au moment où Maguy Marin reprend, au Théâtre de la Ville, la plus célèbre de ses pièces, sort en salles un film documentaire sur sa vie et son œuvre qui éclaire non seulement cette pièce fondatrice, mais toute la personnalité et l’engagement de la chorégraphe. Touchant et essentiel, comme l’immortelle May B.
La danse contemporaine a produit quelques classiques immortels, comme le fameux Sacre du printemps de Pina Bausch, qui sont devenus des références mondiales, parce qu’ils expriment des choses tellement profondes et universelles, dans un langage si fort et intelligible à la fois, que chaque génération s’y identifie de nouveau, comme pour un chef-d’œuvre en littérature ou en musique. May B de Maguy Marin est de ces pièces-là, et c’est pourquoi elle fêtera bientôt ses quarante ans de scène, par des générations d’interprètes toujours renouvelées.
Inspirée de l’œuvre et des personnages de Samuel Beckett, May B donne la parole – mais quelle parole, éructée et presque animale – à un groupe de vagabonds en errance. Des porteurs de vies brisées, des fantômes en haillons, des exclus à la peau couverte d’argile, des énergumènes grimaçants… Au nombre de dix, ils sont de puissantes métaphores de la condition humaine, non matérielle mais spirituelle et terriblement tragicomique dans leur impuissance face à la mort, telle qu’elle s’exprime chez Beckett, dans En attendant Godot, Fin de partie et tant d’autres œuvres. Bref, cette pièce est un mythe vivant de l’histoire de la danse.
“Maguy Marin, l’urgence d’agir”
Il faut donc avoir vu May B au moins une fois dans sa vie, si ce n’est une fois dans chaque âge de sa vie. L’occasion est belle en ce printemps parisien bourgeonnant, car le Théâtre de la Ville présente la pièce sur onze représentations, une des séries les plus longues accordées à une pièce de danse contemporaine. Et il y a la “cerise sur le gâteau”, sous forme d’un film, Maguy Marin, l’urgence d’agir.
Car il se trouve qu’un certain David Mambouch, comédien, danseur et aussi réalisateur, a consacré un film documentaire à Maguy Marin et qu’on y voit beaucoup d’images à propos de May B, notamment des gros plans quasiment scientifiques et des images de répétitions ainsi que des protagonistes de la création, en 1981, échangeant leurs souvenirs avec la chorégraphe.
Hommage aux mères
Et il se trouve que Mambouch, qui signe cet hommage à Maguy Marin – car le film dépasse de loin un making of de May B –, n’est autre que le fils de ladite Maguy Marin, ce qui donne au film sa touche personnelle et intime. Maguy Marin, l’urgence d’agir est aussi une histoire de famille où Mambouch finit un jour par remplacer un danseur dans May B, et constate qu’il interprète le même personnage, trente-cinq ans après son père, lequel décéda quand Mambouch était encore enfant et quelques jours avant la première mondiale de May B.
On y croise aussi la très touchante mère de Maguy Marin, républicaine espagnole réfugiée en France, cette maman qui passait des nuits à coudre les costumes des spectacles de sa fille, et quelques autres figures maternelles fortes. Ce qui rappelle que le titre de la pièce se réfère à May Beckett, la mère du célèbre écrivain. Et Maguy de dire son émotion quand elle voyait sa mère et sa grand-mère danser, non sur scène mais au quotidien.
La démocratie des corps
Certains des interprètes originels sont aujourd’hui eux-mêmes de célèbres chorégraphes, comme la Brésilienne Lia Rodrigues et l’Espagnol Tomeo Vergès. Mais un interprète phare de la compagnie, Ulysses Alvarez, la danse aujourd’hui encore ! Et il se peut qu’il le fasse chaque année avec plus de justesse. Les personnages ne font pas dans le jeunisme. Le film situe très pertinemment May B dans l’œuvre de Maguy Marin, comme une œuvre clé qui résume l’engagement humaniste de la chorégraphe.
Et cet engagement passe par son refus de corps jeunes, beaux et performants. “Cette image de la danse est d’une grande violence pour tous les autres”, dit-elle en pensant à ceux qui ne possèdent pas un corps fort et athlétique mais un corps qui ressemble à ceux qu’on voit représentés dans May B. Car les personnages sont inspirés de Beckett, mais aussi de personnes observées “dans la rue et dans le métro”.
Un œuvre lié au monde
La seconde partie de Maguy Marin, l’urgence d’agir permet de le vérifier, à travers une dizaine d’autres pièces de la compagnie, dont son Cendrillon ou encore Groosland, ces deux autres pièces devenues des classiques, créées avec le Ballet de l’Opéra de Lyon. Et tant d’autres, jusqu’à ses dernières productions. Et chaque fois, l’extrait de la pièce entre en résonance avec les réflexions de Maguy Marin, l’histoire de la compagnie et de la famille, mais aussi avec les événements, comme la grève générale de 1995.
Car Maguy Marin est une artiste en révolte, aujourd’hui plus que jamais. Ce portrait livre, en creux, une comparaison de deux époques, celle de la création de May B et celle du tournage. “En trente-cinq ans, le monde a beaucoup changé”, résume Maguy Marin. L’entrée est gratuite pour les deux projections, les 9 et 11 mars, qui ont lieu à l’Espace Cardin. Mais le film sort également en salles, le 6 mars.
Thomas Hahn
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