“Le Cas Eduard Einstein” : un génie face à la folie de son fils
Génie de la physique, humaniste, le père de E=mc2 fut aussi père de deux garçons dont Eduard, le cadet, qui passa une grande partie de sa vie en hôpital psychiatrique. Comment Albert et son ex-femme Mileva ont-ils réagi face à la spirale de la folie de leur fils ? Stéphanie Fagadau met en scène avec un vrai bonheur la pièce de Laurent Seksik avec Michel Jonasz dans le rôle du grand homme et un Hugo Becker saisissant dans le rôle d’Eduard.
Le poids d’une filiation douloureuse
La filiation d’Albert Einstein a peu été évoquée par ses biographes, sans doute en raison de la schizophrénie d’Eduard, le cadet de ses fils. Séparé de sa femme Mileva en 1914, Einstein continua à correspondre avec ses fils, bien que l’état de santé du cadet le désespérait. Il ne s’en remettra jamais, fuyant Berlin pour l’Amérique sans jamais le revoir. La première scène du spectacle nous montre Eduard au début de son internement dans le Burghölzli, l’asile psychiatrique de Zurich où il passera vingt ans. Hugo Becker incarne le fils maudit, d’une sensibilité romantique, qui sombre de la dépression dans la folie violente puis dans la révolte sourde. Dans le décor très sobre d’Antoine Malaquias, un lit de fer pour l’hôpital d’un côté, le bureau bibliothèque d’Einstein de l’autre, le jeune comédien qui joue Eduard est tout simplement saisissant de vérité, prodigieux de sincérité et de douleur. Derrière le voile fin de tulle noir qui adoucit la souffrance, une vie se tord et va être détruite devant nos yeux, à l’heure des cures d’insuline et des électrochocs.
Rattrapé par le nazisme
C’est Josiane Stoleru, comédienne impeccable, qui incarne Mileva, la mère aimante et protectrice, elle aussi physicienne éminente qui aurait inspiré la théorie de la relativité. C’est elle, en tout cas selon Laurent Seksik, qui veille auprès de son fils malade et qui affronte son ex-mari Albert alors qu’il est encore à Berlin. En 1933, lors de la dernière entrevue avec Eduard, Albert fait ses valises et quitte la capitale allemande infestée de SA. L’atmosphère devient suffocante pour cet intellectuel juif. Michel Jonasz prête sa démarche débonnaire et son physique enrobé au génie mondial, avec lequel il partage l’humanisme et la générosité. Avec beaucoup de finesse et de grâce, il parvient à tout exprimer de ce personnage, l’engagement pour l’égalité des Noirs aux États-Unis, la lutte pour la paix, la défense des époux Rosenberg.
Traitements de choc
Pendant que son père trouve refuge à Princeton, surveillé de près par les agents du FBI qui le soupçonnent férocement de sympathie avec les bolcheviques, Eduard, lui, a noyé sa rage et sa violence dans les cures de médicaments administrés à haute dose par les psychiatres et son élocution se fait de plus en plus balbutiante. Les allers-retours d’Einstein à son fils, entre Zurich, Berlin et Princeton, s’effectuent de manière fluide à l’aide d’éclairages ciselés, la musique de Romain Trouillet balance ses violons romantiques et nous déchire le cœur. Le prix Nobel de physique s’est toujours défendu d’avoir donné naissance à la bombe H, n’ayant livré aux Américains que la formule de la fission nucléaire et militant ardemment pour la paix. Le traitement des personnages est ainsi admirablement rendu, tout en nuances, et Pierre Bénézit, Amélie Manet et Jean-Baptiste Marcenac composent tour à tour des personnages aux multiples facettes, profondément humains. Un spectacle très fort.
Hélène Kuttner
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