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Singulière Mélissa Von Vépy

Sarah Meneghello 11 février 2019
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Noir-M1-Mélissa-Von-Vépy © Christophe Reynaud de Lage

© Christophe Reynaud de Lage

Dans le cadre du festival Les Singuliers, qui bat son plein au CENTQUATRE jusqu’au 16 février, l’artiste franco-suisse nous dévoile l’envers du décor. Entre théâtre et cirque, « Noir M1 » est une performance originale et bluffante. Un magnifique hommage aux arts de la scène, à ses mystères et ses croyances.

Une nuit, sur un plateau de théâtre après une représentation, les services sont allumés pour le démontage. Les vers maudits de Macbeth résonnent. Patatras ! La technicienne bascule dans les cintres. Mais pourquoi donc a-t-elle mis un pantalon vert ? Que l’on soit superstitieux ou pas, il faut se rendre à l’évidence : la jeune femme est en bien mauvaise posture, surtout que ses collègues sont partis…

Mais au cœur de cette boîte noire, la création et l’imaginaire se déploient. Cette cage scénique ne contient-elle pas une densité d’air si particulière, littéralement suspendue ? Rideau en guide de manteau, projecteur comme couronne, faisceau pour épée… Sous le contrôle de la servante, cette lumière qui reste allumée quand tout est éteint – le phare des théâtres en quelque sorte –, la technicienne refait le spectacle, en quelques tableaux hallucinants : grâce du roi acclamé, Lady Macbeth éclaboussée de sang, sorcières, elle incarne à elle seule plusieurs personnages.




Ballet aérien

Pourquoi donc se contenter d’un simple trapèze quand on peut inventer d’autres agrès, sources de nouvelles contraintes ? Mélissa Von Vépy affirme une recherche artistique originale où les éléments scénographiques, qu’elle conçoit spécifiquement pour chaque spectacle, font partie intégrante de la dramaturgie de ses pièces toujours fondées sur l’expression aérienne liée au théâtre et à la danse.

Dans un précédent spectacle, Miroir, miroir, une femme se tenait suspendue à un trapèze couvert de glaces. Le rapport complexe entre identité et image était mis en jeu dans un équilibre fragile. Après être passée derrière les apparences, Mélissa Von Vépy nous mène, pour Noirs M1, dans l’envers du décor. Là encore, il s’agit d’explorer les dimensions physiques et intérieures de la gravité.

Si un miroir constitue le plus étonnant des trapèzes, imaginez évoluer sur des praticables, tours et autres échafaudages… Rien n’effraie la trapéziste ! Le numéro est époustouflant : celle-ci joue avec la structure, dessus et dessous, dedans et dehors, de face et de profil, testant toutes les possibilités, avec un engagement sans faille, malgré la prise de risques : contrepoids, équilibres, gestion de l’espace…

Une fois accédés au pouvoir, les personnages règnent sans vergogne et sèment la terreur. Portée par de grands airs d’opéra, ils chevauchent leur monture, virevoltent, planent. Et quand le miracle renouvelé du ballet aérien s’est produit, la régisseuse plateau s’amuse aussi avec un rien (gélatines, spots et autres accessoires) pour représenter, non sans humour, le chaos des pensées qui assiègent les protagonistes. Et le sien !

Noir-M1-Mélissa-Von-Vépy © Christophe Reynaud de Lage

© Christophe Reynaud de Lage

Les métiers de l’ombre mis en lumière

Voilà l’occasion rêvée de s’interroger sur les arts de la scène, de ses croyances et ses pouvoirs : « La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus. C’est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien », faisait dire Shakespeare à Macbeth, lequel venait d’apprendre le suicide de sa femme.

Avec cette ode, Mélissa Von Vépy rend aussi un magnifique hommage au spectacle vivant, si éphémère, et à ses métiers de l’ombre, les artisans décorateurs, créateurs sonores et autres techniciens. Tandis que la bande son égrène les tops et commentaires de ses collègues de la régie, tous partis, la dernière à rester, elle qui évolue habituellement, invisible, autour du plateau, se retrouve dans la lumière, celle qui sculpte les âmes.

Le nom de sa compagnie (Cie Happés) est décidément approprié : nous sommes littéralement happés dans ce trou noir, dans l’imaginaire foisonnant de cette artiste hors pair, nous sommes aspirés dans son univers de sublimes métaphores. Merci au Festival Les Singuliers, qui fait la part belle à des artistes hors normes et à des formes plurielles, d’avoir programmé, avec le Centre culturel suisse à Paris, ce spectacle exceptionnel, avant la poursuite de sa tournée.

Sarah Meneghello

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