“Localement agité” : psychodrames en Bretagne
C’est l’une des bonnes surprises de cette rentrée. Six personnages, unis par des liens familiaux, se réunissent un 29 février pour disperser par un vent de sud-est et sur un cap breton les cendres du père disparu. Une comédie douce-amère, écrite comme du Tchekhov et jouée de manière épatante par de très bons comédiens, qui nous embarque subrepticement sur les rives tumultueuses des secrets de famille et des vérités multiples. Un régal.
Dans la maison du père
Yves (Arnaud Bedouet) est un garçon très sage, qui vit solitaire dans la maison de ses parents disparus. Respectueux de l’héritage paternel et des vœux de ce dernier, il a la charge d’accueillir en ce 29 février, année bissextile, sa belle-sœur Jeanne (Lisa Martino), l’ex-compagne de son frère Pierre (Nicolas Vaude) qui arrivera bien entendu de Paris après tous les autres. Pierre est un éditeur débordé, qui ne se prive pas de faire sentir sa différence avec la fratrie et cette cérémonie ridicule : attendre qu’un vent de sud-est se lève pour disperser les cendres de son père dans un Finistère battu par les vents de nord-ouest en plein hiver !
Des egos cabossés
C’est que Pierre, comme Jeanne ou Yves, mais aussi comme Clément (Thierry Frémont) le frangin businessman qui brûle sa vie, Marie (Anne Loiret) la sœur trop romantique pour trouver l’âme sœur ou Boris (Guillaume Pottier) l’adolescent attardé ont tous des egos cabossés par la vie. Marqués par l’aura impressionnante d’un père reconnu publiquement, philosophe à la réputation internationale, ils se sont construits à l’ombre ou contre ce roc dont les cendres vont aujourd’hui peut-être révéler le mystère. Et la pièce d’Arnaud Bedouet subtilement, par petites touches mais avec beaucoup de drôlerie et d’esprit, dépouille les personnages de leur carapace, agissant comme un révélateur de lumière.
Plaisir d’acteurs
Dirigés par Hervé Icovic, les comédiens nous ravissent par l’intelligence, la finesse de leur interprétation. Lisa Martino, ravissante et fragile ex, Anne Loiret au bagou et au panache pleins de vitalité, Thierry Frémont, bel indifférent rattrapé par ses bêtises, Nicolas Vaude, égoïste amoureux et malheureux, Guillaume Pottier le lunaire, tous sont épatants de sincérité, tout comme l’auteur lui-même qui campe Yves, le célibataire faussement endurci. En leur compagnie et sur le petit plateau de la Salle Réjane, on passe décidément un beau moment de théâtre.
Hélène Kuttner
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