Peinture sous pression – une exposition de Louis Granet
La Société Générale accueille la première exposition importante monographique du peintre Louis Granet en France à partir du 30 janvier.
Placée sous le commissariat de Judicaël Lavrador, elle présente 23 toiles récentes de l’artiste réunies sur le thème qui est aussi le titre de l’exposition : “Peinture sous pression”.
” Il y a beaucoup de choses dans les toiles de Louis Granet. Y compris des personnages chosifiés. A moins qu’il ne s’agisse, dans ces corps et ces figures molletonnés, duveteux, rabougris qui s’avachissent au milieu d’un fatras de colifichets et de déchets, sans cesser de rester droites et dignes sur les paquets de céréales qu’elles tentent d’égayer, de choses personnifiées. Voilà de quel bois sont les créatures dépeintes, un bois en demi-teinte, à la fois vivace et inerte : des petits bonshommes, des peluches, des Captain Crush à l’énergie inaltérable, aux habits éclatants, à la silhouette attendrissante mais à la présence quelconque. Dans les tableaux de Louis Granet, ces effigies d’ordinaire aguichantes deviennent en partie des choses parmi d’autres. On ne dit pas qu’elles n’ont pas gardé là trace de leur trempe ostentatoire. On dit qu’elles sont prises dans une nasse qui les étrique et les rend plus étiques. Elle se serre dans un espace (les limites de la toile) qui est rempli à ras bord de choses et d’autres. Qu’il est temps de qualifier et, autant que possible, de nommer. Ce qui n’est pas simple tant Louis Granet écrase ses sujets. On reconnaîtra peut-être ici une canette de Red Bull (où il est donc encore question d’énergie, de sa perte ou de sa recharge), des fleurs (flétries… ou c’est tout comme), des sacs plastiques, des étiquettes (où les mots imprimés semblent flotter, ivres, plutôt que de faire sens) et puis de la nourriture, des plats japonais (des ramens en nombre), des chips, des céréales donc (l’emballage du moins)… des mets assez peu présentables, tant ils s’affaissent sur eux-mêmes. Eux non plus ne tiennent pas tout à fait droit. Eux aussi semblent écraser, sous leur propre poids. La peinture de Louis Granet est celle de la surcharge (pondérale, chromatique, quantitative, calorique).
C’est une junk-painting, qui préfère les choses grasses, les chaires flasques, les déchets, les surfaces souillées et salies, tout ce qui est jeté, benné, englouti et plus ou moins digéré, plus ou moins recyclé. C’est une peinture qui ne craint pas d’être trop riche, ni d’avoir l’air riche – ce qui ne revient pas au même. C’est une peinture qui surjoue son encombrement – elle se sait trop serrée dans son cadre, trop emmaillotée dans son périmètre, malgré le fait qu’elle tente de se donner de l’air par ses formats conséquents (190 cm x 130cm, ce n’est pas négligeable). C’est enfin, on l’a compris, la peinture d’une époque, la nôtre, celle de la malbouffe, du divertissement ulcérant à force d’être abêtissant, celle du septième continent, un continent de plastiques piégeant et asphyxiant dans ses fibres toxiques et indigestes la faune marine. Celle de la densité et non plus de la profondeur. Celle encore de la compétition pour exister au premier plan parce qu’il n’y a plus d’autre place, plus de place à l’arrière-plan qui a de toute façon disparu de la place. C’est donc encore (on en rajoute parce que, oui, l’art de Louis Granet en remet toujours une couche) une peinture où ce qui est visible, ce sont moins les sujets eux-mêmes, les objets eux-mêmes, que leur lutte à mort pour se rendre visibles et puis pour perdurer, résister à l’usure, aux altérations qui leur sont infligées. C’est donc une peinture qui saisit cette nouvelle vie des objets (la nôtre aussi bien) soumise à l’obsolescence programmée. Elle n’est pas tendre avec ses modèles. Ni avec elle-même. Se faire mal, se malmener, maltraiter sa surface, son support et son image, la peinture à dire vrai ne travaille qu’à cela depuis longtemps. “
Extrait du texte de Judicaël Lavrador, commissaire de l’exposition.
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