A Chaillot, une danse d’amour Orient-Occident
Le tissage Orient-Occident est la spécialité d’Abou Lagraa. Dans « Wonderful One », il passe de Monteverdi à Oum Kalthoum et d’un duo masculin à un trio féminin. Chez cet enfant de parents algériens et de la ville d’Annonay, les hémisphères sont toujours liés par le fil soyeux de la sensualité et de la séduction.
Le langage chorégraphique d’Abou Lagraa porte en lui la chaleur du sud. Il n’y jamais eu, et il n’y aura jamais de pièce de Lagraa sans mouvements amples, sans séduction, sans exaltation, sans dialogue entre deux sphères qui sont faites pour s’entendre mais ont besoin de danser pour se rencontrer. « Wonderful One » tisse ces relations pleines d’espérance entre les musiques, entre les deux tableaux de la soirée et entre les interprètes, dialogue féminin – masculin à la clé. Mais ce dialogue-là se joue à l’intérieur de chaque individu.
Le « Wonderful » qui est en nous
Deux hommes se rencontrent sur Le Combat de Tancrède et Clorinde de Monteverdi, avant que trois femmes ne soient bercées par Oum Kalthoum et Sœur Marie Keyrouz, avant d’entrer en extase sur les Percussions de Fez. Mais qui est-il donc, le Wonderful One ? « C’est chacun d’entre nous », dit Lagraa qui emprunte le titre de sa pièce à la chanson de Jimmy Page, chanson dans laquelle le chanteur suggère: « Shall we dance and never stop ».
Wonderful One : Cette déclaration d’amour pourrait s’adresser à un être supérieur, tant Lagraa laisse éclore une danse qui n‘est pas graphique, mais ardente, pas théorique mais l’interface vibrante du charnel et du spirituel. Il traduit le « Wonderful » par « merveilleux » : « Etre merveilleux, c’est pour moi la capacité de ne pas se définir comme un homme ou une femme, mais c’est s’affirmer et se remplir de son masculin et de son féminin. »(1) Et on pourrait ajouter : Sans pour autant renoncer au plaisir de se sentir pleinement homme ou femme.
Deux hommes, entre révolte et harmonie
Chacune tableau creuse la question du rapport entre ce qu’on est socialement et les multiples strates intérieures avec leurs frictions intimes. Les deux hommes affrontent des forces qu’ils n’arrivent pas à maîtriser. Des gestes leur échappent et expriment beaucoup de tiraillements.
Pascal Beugré-Tellier est traversé, jusque dans la plus petite de ses articulations, d’une révolte contre la condition humaine. Régulièrement, son corps est emporté par une énergie furieuse. Mais il connaît aussi des phases d’harmonie avec Ludovic Collura, au registre plus musical, rond et même suave, comme si les deux n’étaient que les facettes opposées d’une même personne.
Trois femmes, jusque dans l’extase
Nawal Lagraa-Aït Benalla, Sandra Savin et Antonia Vitti s’affrontent, s’esquivent, se touchent, se serrent, s’effleurent. Elles se laissent envahir par les voix, les mélodies et les rythmes orientaux jusqu’à atteindre une forme d’extase. Réunies ou séparées par trois énormes moucharabiehs (réalisés dans un style plutôt contemporain et occidental), elles dansent d’une manière très relâchée, comme trois amies et leurs micro-ondulations créent une fausse idée de laisser-aller. Mais elles connaissent aussi quelques gestes un brin angulaires, projetant une possible transgression vers le masculin.
Avec ces deux pièces dont chacune est à considérer comme un(e) partenaire dans un duo, Lagraa construit une œuvre animée d’une flamme extraordinaire, un dialogue qui investit les diverses strates de l’être humain et ne cesse de composer avec le réel, tout en cherchant des alternatives capables de réconcilier la chair et l’esprit.
Thomas Hahn
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