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Songs : la beauté tragique du chant anglais

Hélène Kuttner 9 janvier 2019
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Le metteur en scène Samuel Achache et le musicien Sébastien Daucé signent un très beau spectacle autour des chants d’amour anglais du XVII° siècle. Musiciens baroques sur instruments merveilleux, chanteurs épatants et comédiennes en verve nous embarquent dans un voyage aussi burlesque que féérique, très réussi.

Une exploration savante

Au départ, il y avait un album, « Perpetual Night » paru chez Harmonia Mundi dans lequel Sébastien Daucé et son ensemble de jeunes musiciens « Correspondances » explorait un répertoire anglais méconnu de l’époque baroque avec l’alto Lucile Richardot. Des airs d’une poésie somptueuse, que la chanteuse à la voix caressante, puissante et magnétique, transfigure. On y parle d’amour, comme toujours, de désir contrarié, de souffrance et de mort, bref, de la tragédie d’un romantisme avant l’heure, sublime et triste. Comment passer de ce monde de bergères qui rêvent de chevaliers, d’Orphée sublimant Eurydice, à notre univers plus prosaïque ? La réponse est dans une scénographie recouverte d’une cire blanche comme neige, qui peut fondre follement ou fixer les émotions. Un voyage du froid polaire à la brûlure de la passion qui embrasse toutes les époques.

Décalages

Le premier tableau est magique. Dans un décor entièrement recouvert d’un drap blanc, une jeune mariée se morfond dans les toilettes où elle s’enferme. La peur la tétanise, le passé la rattrape et l’avenir la mortifie. Sa soeur fait le pied de grue, énergique et patiente, tout en évoquant leurs souvenirs de colonie de vacances dirigée par une grosse femme autoritaire aux allures de caporal. Puis le drap se retire comme une mer pour faire apparaître une scénographie en forme de rêve, dégoulinante de cire blanche, glacis d’un temps écoulé, avec des instruments anciens recouverts de cette couche neigeuse. Les musiciens semblent endormis sur leurs archets, violes et clavecins somnolent, théorbe qui gîte et harpe étourdie. Le dialogue entre les deux comédiennes, Margot Alexandre, abattage méridional et clownesque, et Sarah Le Picard, fiancée allumée, vire rapidement au décalage total, l’absurde et le burlesque emboitant le pas au surréalisme d’une situation loufoque.

Pureté de la musique

C’est justement ce décalage entre la poétique un peu surannée de ces mélodies du 17°siècle et le burlesque ravageur des scènes entre les deux soeurs qui est intéressant ici. L’extravagance tapageuse des comédiennes vient percuter la pureté, la sobriété d’un chant à la poésie merveilleuse et que porte superbement Lucile Richardot, qui incarne la mère dépressive et tragique. La chanteuse déambule en somnambule dans ce décor mouvant, voix d’acier ou de velours, hors des genres et du temps. Quant aux jeunes musiciens, ils jouent également un choeur amusé, qui chante aussi, badine, participe à l’action. René Ramos-Premier, baryton basse, impose un beau charisme de fiancé altier et mystérieux. Sébastien Daucé, par son choix musical et orchestral, et Samuel Achache, par une mise en scène astucieuse, aidé à la dramaturgie par Sarah Le Picard, réussissent à rendre ces chansons anglaises baroques vivantes, vibrantes comme un miroir de notre présent. Le pari est réussi.

Hélène Kuttner

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