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Rohena Gera : “Je souhaite toucher les spectateurs et soulever des questions”

Orianne JOUY 10 janvier 2019
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À l’occasion de la sortie de son premier long-métrage de fiction, « Monsieur », nous sommes allés à la rencontre de Rohena Gera, une jeune réalisatrice indienne très prometteuse.

Avant de s’attaquer à des projets plus personnels, Rohena Gera a notamment travaillé pour des réalisateurs hindis. En 2013, elle réalise son premier documentaire, What’s love got to do with it ?, qui traite de la question des mariages arrangés en Inde. Elle est aussi à l’origine d’une campagne contre le communautarisme intitulée « Stop the Hatred », diffusée à travers le monde. Aujourd’hui, elle présente Monsieur en salle depuis le 26 décembre.

 

« Monsieur » traite de nombreuses questions relatives à la société indienne, notamment le rôle des traditions, les droits des femmes et la fracture sociale, les castes. Pourquoi avoir choisi d’aborder ces thèmes par une fiction, et non dans un format documentaire ?

 Par ma formation et mon parcours, je suis plus à l’aise avec la fiction. Le documentaire que j’ai réalisé était un défi pour moi. J’ai travaillé sans scénario, je voulais voir ce que je pouvais révéler avec uniquement une caméra et des interviews. Mais pour Monsieur, ma démarche était complètement différente : je voulais révéler quelque chose de très intime. Avec un format documentaire, je n’aurais pas pu entrer à l’intérieur d’une histoire si personnelle.

 Comment avez-vous travaillé sur l’écriture et la réalisation de ce film pour transcrire cette histoire si sensible ?

 Pour ne pas adopter un regard trop extérieur, je voulais créer des personnages proches. J’avais besoin de construire une sincérité qui évolue au fil de l’histoire. Je ne voulais pas écrire un drame, mais une histoire ancrée dans la réalité, dans des moments du quotidien. D’ailleurs, quand j’ai commencé à écrire, je ne connaissais pas encore la fin du film. J’avais simplement deux personnages et une situation, je voulais révéler les contrastes. Puis j’ai travaillé mon scénario encore et encore, pour ne garder que l’essentiel lors du tournage et du montage.

 Au niveau visuel, j’ai vraiment travaillé l’esthétique du film. Je voulais que mon film soit beau, à l’image de la perception que j’ai de l’Inde. Le plus intéressant pour parler d’un sujet dur, c’est de le plonger dans un monde joli et complexe. Je me suis beaucoup inspirée du cinéma japonais, comme In the Mood for love de Wong Jar-wai ou Departures de Yorijo Takita. Il y a une esthétique, une beauté dans le geste que j’apprécie énormément. Finalement, le résultat est surtout celui d’un travail collectif, avec les artistes, les techniciens, entre le texte, l’image et la musique.

Le choix des acteurs a dû être un moment très important pour vous. Comment avez-vous procédé ?

 Pour Tillotama Shome, qui joue Ratna, cela a été très facile. Je connaissais son travail et sa sincérité. Je voulais aussi travailler avec elle. Physiquement, elle incarnait très bien le rôle. Je ne cherchais pas une actrice très belle ou sensuelle. Au contraire, je voulais une femme simple, qui puisse presque disparaître. En effet, Ratna sort de l’ombre petit à petit pour dévoiler sa beauté intérieure. Tillotama interprète très bien la complexité de ce personnage qui est pleine d’une joie de vivre, mais certainement pas naïve.

 Pour le comédien incarnant Ashwin, cela été plus compliqué. Son personnage est ambivalent : il se dégage de lui le confort et le privilège, sans qu’il soit pour autant hautain ou supérieur. Il est très gentil sans être faible. C’est aussi un rôle ingrat, parce que Ratna prend toute la place. L’acteur devait faire évoluer le personnage de l’intérieur et par des petits mouvements subtils mais perceptibles. Finalement, lorsque Vivek Gomber et Tillotama Shome ce sont rencontrés, il y a eu comme une alchimie.

 

Seriez-vous d’accord pour qualifier votre travail d’engagé, socialement et politiquement ?

 Je n’aborde pas ces sujets pour faire une thèse ou pour dire aux gens quoi penser. Lorsque j’ai travaillé sur la question des mariages arrangés, c’était principalement par curiosité : pourquoi une femme qui a le choix préfère un mariage arrangé ? Mon travail peut paraître féministe car il révèle nécessairement ce qui est important à mes yeux. Mais je ne juge pas les personnages, préférant révéler les ambigüités de l’être humain. À travers mes personnages, je montre des faits et je raconte une histoire. Si elle peut toucher les spectateurs et soulever des questions, tant mieux ! Peut-être que cela permettra de faire évoluer les choses.

 Comment pensez-vous que votre film va être accueilli en Inde ?

 J’espère qu’il va lancer des débats. En fait, j’ai fait ce film pour ça. Raconter cette histoire par le biais d’un média populaire, comme le cinéma, peut y contribuer. Pour l’instant, les spectateurs indiens qui ont vu mon film étaient contents que j’aborde ce sujet. Mais il y aura certainement des gens qui vont le rejeter ou se sentir menacés.

 

Orianne JOUY

 


À découvrir sur Artistik Rezo :

Monsieur, un film de Rohena Gera, de Julia Wahl

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