Nelly Lacoste : « Si l’on part du réel, chaque photographe en livre une interprétation différente »
Rencontre avec Nelly Lacoste, galeriste de Meeting Art Point, qui représente entre autres, Tastuo Suzuki et Haruna Sato. Ce sont deux photographes japonais qui expriment deux visions différentes de la ville de Tokyo sur le thème de la rue.
Quel est votre lien avec le Japon ?
J’ai vécu au japon en deux temps : d’abord, pour suivre une formation de danse contemporaine ; ensuite dans le cadre universitaire, pour une recherche sur la presse japonaise. J’aime beaucoup ce pays. Quand je suis rentrée en France, j’ai travaillé plutôt dans l’image, la photo et dans une agence de pub et j’ai alors un peu perdu le lien avec le Japon. J’ai eu envie de le recréer via la photographie.
J’ai cherché des photographes dont le travail m’intéressait. J’ai ensuite monté une exposition qui s’appelait Tokyo Now , en octobre 2017, avec six photographes, dont trois découverts sur Internet et trois autres grâce à des livres. J’ai alors décidé d’en représenter certains, dont Tastuo Suzuki et Haruna Sato. J’ai commencé à monter cette nouvelle expo avec l’idée de faire une sorte de cycle, de trilogie sur Tokyo, avec différentes visions de la ville : la rue, l’architecture et les gens. Je souhaite aussi montrer que sur un même territoire, c’est-à-dire la ville de Tokyo, il existe des regards variés, des interprétations différentes.
La photographie n’est jamais un reflet littéral du réel, mais toujours une interprétation du réel. Si l’on part du réel, chaque artiste en livre une interprétation différente, et c’est vraiment cela qui me plaît dans la photo.
Pouvez-vous nous parler des photographes Tastuo Suzuki et Haruna Sato que vous avez exposés à fotofever en novembre dernier ?
Ils ont tous les deux travaillé sur le thème de la rue à Tokyo, mais avec deux visions assez différentes. Chez Tastuo Suzuki, on sent que son objectif est de capter l’énergie et le chaos de la ville avec une sorte de brutalité. Il travaille régulièrement à Shibuya, quartier qui est tout le temps éveillé. Il s’intéresse à cet espèce de flux, cette ébullition humaine permanente de Tokyo.
Quant à Haruna Sato, elle aborde la photographie d’une manière plus discrète, en prenant une certaine distance par rapport à son sujet. L’être humain dans la ville semble un petit peu isolé et prend l’aspect d’une silhouette. Pour sa série le premier jour du mois, par exemple, elle photographie chaque premier du mois, quoi qu’il arrive, où qu’elle soit. C’est une manière de donner de l’attention sur des faits, des situations ou des éléments graphiques que l’on ne voit pas d’habitude, une manière d’apporter de l’attention aux petits riens du quotidien.
Ces deux photographes utilisent beaucoup le noir et blanc. Comment expliquez-vous cela ?
Dans une interview, Tastuo Suzuki expliquait que le noir et blanc correspondait à son ressenti par rapport à la ville, à son état psychologique et à ce qu’il souhaite transmettre.
Pour Haruna Sato, le noir et blanc permet de mettre une distance avec le réel. Mais parfois elle utilise aussi la couleur, comme dans sa série Tokyo Action que j’avais exposée. D’ailleurs, elle travaille avec l’argentique et développe elle-même ces photos.
À quoi êtes-vous particulièrement sensible dans leurs photos ?
Dans le travail d’Haruna Sato, j’apprécie l’importante présence de lignes graphiques mais sans que le résultat paraisse trop maniéré. Chez Tastuo Suzuki, une certaine spontanéité. Au milieu d’un flux constant, il parvient à capter un instant éphémère, fugitif. Et ça, c’est magique !
Propos recueillis par Flora Rosset
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