« Franchir la nuit » : Une pièce qui fait des vagues !
Il y aura de l’eau sur le plateau de Chaillot, des vagues et des migrants ! Rachid Ouramdane signe une pièce audacieuse et grandiose, où se rencontrent les danseurs professionnels de sa compagnie et des enfants qui ont fui leurs pays en guerre. Et cette pièce fait débat, elle perturbe et interroge. Comment faut-il l’aborder ?
« Franchir la nuit » de Rachid Ouramdane a été présenté à Grenoble et ensuite à Lyon, à la Biennale de la Danse. Et c’est là que les réactions ont été vives. Ce qui n’est pas un mauvais signe. Rachid Ouramdane ne laisse pas indifférent. Ici moins que jamais. Bien sûr, ce n’est pas la première fois qu’un chorégraphe réunit sur le plateau danseurs professionnels et amateurs. Mais quand les amateurs sont des enfants ou des adolescents, la société veille au grain.
Une pièce qui fait débat
S’y ajoute ici la problématique des migrants. Pas la peine de tourner autour du pot: Ouramdane met les pieds dans le plat. Mais il le fait avec une élégance inouïe et une délicatesse extrême. Et c’est justement ce que certains lui reprochent: Le plateau est envahi de vagues au sens premier et maritime du terme, et la noyade est évoquée puisqu’elle fait partie de la réalité vécue. Alors, a-t-on le droit de créer de belles images, poétiques et esthétiques, à partir d’une souffrance aussi existentielle ?
Pour mieux répondre, essayons de prendre un peu de hauteur. Si nous prenons comme point de référence la programmation hautement significative de la Biennale de la Danse de Lyon, « Franchir la nuit » en était une véritable figure de proue, donnée à l’Opéra de Lyon et donnant l’exemple en matière d’ambition artistique et d’audace sociétale. Chez Ouramdane, aucun geste artistique n’est gratuit et chaque création met en scène des êtres qui n’y sont a priori pas destinés, que ce soit par leur présence directe ou en évoquant leurs traces. C’est justement dans ces engagements-là que l’actuel codirecteur du Centre Chorégraphique National de Grenoble trouve ses inspirations les plus bouleversantes.
Rien d’étonnant alors s’il réussit ici un véritable chef-d’œuvre. « Franchir la nuit » marque les esprits avec des images d’une présence et d’une ampleur quasiment cinématographiques. C’est d’autant plus vrai que les dizaines de jeunes migrants ne sont, et c’est tout à fait naturel, pas des danseurs. Leurs phrases chorégraphiques sont donc simples et libres, et les professionnels de la compagnie mettent leur habilité au service d’une savante humilité, qui ne dit rien d’autre qu’une solidarité humaine qui fait tant défaut dans le monde occidental, de plus en plus individualiste.
Un acte humain et artistique de grande ampleur
L’acte esthétique et humain qu’est « Franchir la nuit » n’est pas à aborder comme un produit artistique de plus. Inviter des dizaines de jeunes dont beaucoup ont perdu leurs parents pendant la traversée des mers ou des montagnes est un acte aussi concret que symbolique, une porte ouverte vers la reconstruction de personnes qui trouvent ainsi un premier lien avec la société qui les accueille, plutôt mal par ailleurs.
Ceci dit, le spectateur qui paye sa place pour voir un spectacle ne prévoit pas de faire œuvre humanitaire. Et il a raison. Car la décision lui appartient et il peut tout à fait verser ses oboles à telle ou telle ONG au lieu d’aller au théâtre. Le fait est que Rachid Ouramdane signe là une pièce qui en vaut toutes les autres, avec ses vidéos magistrales, ses communions chorégraphiques, ses libertés ludiques et autres appels à accueillir des êtres en quête d’avenir. Au bout du compte, leur humanité est aussi belle que la nôtre.
Convoquer les éléments, les rites, les jeux, le danger, la détresse, la tendresse et la beauté pour aider ces jeunes gens à « Franchir la nuit » est un acte qui redonne de la noblesse à la gente artistique. L’esthétique si raffinée, spectaculaire et bouleversante n’a rien de surfait ou de gratuit. Elle exprime le respect devant l’innocence de ces jeunes, déjà tellement secoués par le destin. Ouramdane a raison. Seule une œuvre de la plus grande poésie peut leur rendre hommage. A cet endroit précis, il faut le meilleur. Sinon, rien. Et ce qui est ici le meilleur, seuls le chorégraphe et les jeunes migrants en décident. Ce meilleur, ils l’ont réalisé ensemble.
Thomas Hahn
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