Félicien Brut : « Être dans le partage et la créativité »
Ringard l’accordéon ? Tout en gardant ses racines populaires, Félicien Brut relève avec brio ce pari fou d’imaginer le « piano à bretelles » comme un des instruments phares de la musique classique de demain. Rencontre avec le nouveau visage de l’accordéon français.
Bardé de prix internationaux (vainqueur du Concours International de Klingenthal en Allemagne, du Concours International de Castelfidardo en Italie et du Trophée Mondial d’Accordéon à Samara en Russie), vous avez le vent en poupe, à tout juste 32 ans. Quel est votre parcours ?
J’ai tenu mon premier accordéon, en plastique, à 2 ans et pris mes premiers cours à 6 ans. Originaire d’Auvergne, j’ai eu la chance de suivre les enseignements d’un des meilleurs professeurs d’accordéon : Jacques Mornet.
J’ai commencé à me produire en public très jeune, en bordure des pistes de danse musette, avant d’embrasser le répertoire classique pour lequel je n’avais aucune prédilection au départ, mais que j’ai appris à aimer peu à peu, jusqu’à la passion.
J’ai enseigné près de dix ans dans plusieurs conservatoires et, au contact des élèves, j’ai réalisé que le risque, aujourd’hui, n’était plus que l’accordéon soit catalogué au seul style musette mais, au contraire, de tomber dans le travers inverse : oublier le musette et tout un pan de notre patrimoine musical. C’est à ce moment-là que j’ai souhaité renouer avec les racines populaires de l’accordéon pour en faire l’essence de nouvelles créations.
Un parcours émaillé d’heureuses rencontres, aussi !
Je voue d’abord une admiration sans borne à Richard Galliano. Ma rencontre avec lui a été déterminante. Il m’a conseillé de m’entourer d’un quintette à cordes et j’ai eu la très grande chance de croiser la route du contrebassiste Édouard Macarez et du Quatuor Hermès. Notre complicité à tous les six a immédiatement été évidente. Depuis, nous jouons donc en sextuor, Le Pari des Bretelles, et donnons beaucoup de concerts. Nous sortirons un disque en janvier prochain, sous le label Mirare.
Au-delà de ce sextuor, j’ai constitué plusieurs duos, notamment avec Édouard Macarez, le clarinettiste Renaud Guy-Rousseau, le mandoliniste Julien Martineau. En janvier prochain, une formation en trio verra le jour avec Romain et Thomas Leleu (trompette et tuba).
Avec vous, l’accordéon transcende les styles musicaux en se la jouant parfois classique, parfois musette. Pourquoi ce mélange des genres ?
À mes débuts, j’ai un peu souffert du manque de reconnaissance de l’accordéon, considéré comme ringard, désuet. Certains considèrent que le musette est la cause de ces a priori. Mais, dans le même temps, je suis persuadé que beaucoup portent un regard bienveillant sur cet instrument, justement parce qu’il est populaire, souvent associé à des moments festifs de la vie de chacun. Certains grands noms ont réhabilité notre instrument, dans tous les styles, mais il nous faut aujourd’hui définitivement réconcilier son aspect populaire et son caractère novateur.
Inventé en Autriche, fabriqué en Italie, transformé en Russie, l’accordéon est arrivé il y a tout juste un siècle en France, grâce aux émigrés italiens. Très vite adopté par les Parisiens, il devient l’instrument roi des bals musette qui connaissent un immense succès dans les cafés du quartier Bastille tenus, à l’époque, par de nombreux Auvergnats.
Le style musette est né ici, au cœur de la capitale, comme la résultante d’un brassage culturel inédit entre des cultures populaires venues des quatre coins du globe. Il fait partie du patrimoine musical français, en révélateur de l’esprit des Années folles. Il est sans doute le plus bel exemple de métissage culturel qu’a connu le XXe siècle.
Au-delà du musette et de la part importante qu’il occupe dans mon parcours, je peux dire aujourd’hui que je suis un passionné de musique classique. C’est sans doute pour cela que je prends autant de plaisir à mêler les styles et à revisiter, aussi, le répertoire de musique savante.
Enfin, je crois essentielle cette soif de nouveauté toujours exprimée dans le domaine artistique et synonyme de vie. C’est pour cela que je travaille en étroite collaboration avec le compositeur Thibault Perrine auquel j’ai passé plusieurs commandes ces derniers mois.
Vous parvenez ainsi à donner de l’éclat à un instrument trop longtemps déprécié. Vous lui faites gagner ses lettres de noblesse tout en décomplexant les amateurs de musette. Concrètement, comment vous y prenez-vous ?
Nous proposons aux publics de voyager dans les époques et les univers. Par exemple, le programme du Pari des Bretelles retrace l’histoire de l’accordéon, rappelle la perméabilité constante entre musique savante et musique populaire et met en lumière le métissage culturel du siècle dernier, fruit de tant d’innovations.
Nous donnons à entendre, à travers des arrangements inédits, des œuvres phares du répertoire signées Prokofiev, Gershwin ou Piazzolla. Mais, comme je vous le disais, nous mettons aussi en exergue la création contemporaine avec Suite Musette, une pièce spécifiquement écrite pour le sextuor par Thibault Perrine, construite sur des thèmes célèbres du répertoire musette.
Enfin, j’essaie de penser à l’aspect pédagogique des concerts et à l’interaction avec le public en donnant des clés d’écoute, des anecdotes, en plaisantant aussi souvent ! Ne pas se replier sur le passé, tenter d’être créatif, se montrer généreux avec le public : voilà ce en quoi je crois !
Quels sont vos projets ?
Avec Édouard Macarez, nous nous produisons le 19 novembre au Comedy Club, dans le cadre de « This is Monday ». Dans ce programme Vagabonds, nous traversons de nombreux répertoires d’hier à aujourd’hui, de l’Europe de l’Est à l’Amérique du Sud, en passant par Paris, New-York ou Moscou.
La contrebasse et l’accordéon sont deux compagnons d’aventure qui partagent un parcours singulier et cela crée indéniablement une forte complicité entre Édouard et moi. C’est un musicien extraordinaire, je prends un plaisir fou à être sur scène à ses côtés, tantôt à l’accompagner, tantôt à me laisser porter par son jeu magnifique.
En ce qui concerne le Pari des Bretelles et les autres duos, ils poursuivent leurs tournées respectives. Pour les moments phare qui approchent, le sextuor sera à l’affiche de la Folle Journée de Nantes en janvier 2019, où aura également lieu la sortie du disque le Pari des Bretelles.
Je serai ensuite de passage au Théâtre Marigny, le 4 février, pour une soirée exceptionnelle autour de l’accordéon en compagnie des merveilleux amis musiciens que sont Thibaut Garcia, Julien Martineau, le Quatuor Hermès, Édouard Macarez, Domi Emorine, Renaud Guy-Rousseau.
Enfin, j’ai la joie de participer, en tant que soliste, à la création d’œuvres pour accordéon et orchestre symphonique. Après Caprice d’accordéoniste, Fantaisie pour accordéon et orchestre symphonique, de Thibault Perrine, créée en juillet 2018, à l’occasion du Festival Un Violon sur le Sable à Royan, je serai, en avril, aux côtés de l’Orchestre de Cannes et de son chef Benjamin Levy, pour un programme complet avec orchestre. À cette occasion, nous créerons Souvenirs de bal, un concerto pour accordéon du même compositeur. Cette création sera reprise en juin avec l’Orchestre d’Avignon sous la direction de Samuel Jean.
Propos recueillis par Sarah Meneghello
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