Mathilda May, David Murgia et Jacques Gamblin déménagent au Rond-Point
Mathilda May revient au Théâtre du Rond-Point avec ses compères pour un « Banquet » délirant et clownesque, David Murgia installe la chienne de l’espace « Laïka » sur terre pour un solo avec accordéon déchirant d’humanité, et Jacques Gamblin accoste lui aussi pour nous raconter sa complicité gémellaire avec Thomas Coville, un navigateur hors pair. Trois spectacles qui nous mettent la tête par dessus le bord du monde.
Le Banquet de Mathilda May
Comme dans « Open Space », où elle traitait de l’univers des bureaux de manière onirique et burlesque, la comédienne Mathilda May s’attaque aujourd’hui aux fêtes de mariages avec un spectacle déjanté, drôle et totalement décalé avec 10 comédiens danseurs tous épatants qui incarnent tour à tour des personnages ultra-typés, de la grosse dame au chien au jeune marié dragueur et coquin, de la mariée allumée et hystérique au photographe candide, en passant par la belle mère qui se prend pour Marylin, l’ancien fiancé furibard, le jeune ado sans manières ou la bonne copine peace and love. Tout ce petit monde est pris d’une frénésie de mouvements comme dans un film de Jacques Tati, en couleurs, mais le cliché du banquet de mariage traditionnel vire progressivement à la comédie italienne cruellement féroce. La scénographie astucieuse de Jacques Voizot place le buffet du mariage sur un promontoire verdâtre et rond sur laquelle viennent s’échouer lamentablement les convives. Malgré quelques longueurs, les comédiens acrobates impulsent un tempo d’enfer à cette pochade pulvérisée par les intermèdes disco et funky qui finit comme un cauchemar gore déconseillé aux âmes trop prudes.
Laïka de Celestini
Avez-vous entendu parlé de Laïka, la petite chienne des rues envoyée dans l’espace par les Russes en 1957 ? L’auteur italien Ascanio Celestini en fait une héroïne céleste qui nous aide à observer le monde aujourd’hui, des étoiles où elle gît. Récit en forme d’incendie, parole brûlante jetée à la face dur public, « Laïka » évoque tour à tour les migrants errant des grandes capitales européennes, les sans-papiers qui empilent des caisses dans les entrepôts la nuit, la prostituée au grand coeur qui aide les clochards, bref, les détritus de notre monde, sans droits ni papiers, qui viennent grossir la foule des grandes villes, et que David Murgia, comédien fantastique, croque à un rythme délirant, images et sons dans un slam que l’accordéon de Maurice Blanchy vient ponctuer. Le personnage, Jésus Christ ou Che Guevara, yeux noirs brillants et dégaine d’ermite, dans son imper élimé, s’adresse à nous du bar où il descend ses bières et nous interpelle, tragique et comique à la fois, en mêlant réel et fantastique. Des histoires de clodos, mais aussi d’hommes et de femmes rejetées par la loi, le droit européen, les Eglises. Les ombres des morts reviennent aussi, tressant avec celles des vivants des bribes de fantômes revenus pour grimacer face à nous. Ce théâtre là, enragé et politique comme un conte qui plonge sa vérité dans notre société, est rendu vivant par David Murgia, comédien céleste et carnassier.
Jacques Gamblin parle à un homme qui ne tient pas en place
Jacques Gamblin nous invite une nouvelle fois à une traversée en solitaire, petit homme frêle sur l’immense plateau, une grosse balle jaune, la terre, dans la main. Ce nouveau voyage qu’il nous conte, c’est un chant d’amour pour son alter ego, le navigateur Thomas Coville qui tenta une nouvelle fois de battre le record du monde en solitaire sur un trimaran de 30 mètres. Gamblin, en amoureux de la mer et des bateaux, noue une complicité entière, totale et impudique avec le navigateur, avec lequel il va communiquer tout au long de sa traversée, jusqu’à son retour prématuré par faute de vent. Cette relation faite de mots, d’attente et d’émotions partagées, de silences et de suspense, l’un sur la terre, comédien itinérant, père d’une fille qu’il emmène à l’école, l’autre sur la mer, bravant les tempêtes et les soubresauts de l’Equateur, Dieu fragile et secoué sur son navire monstrueux, est un fil indicible et mystérieux qui lie les deux solitaires, épris de liberté et de nature. La toile du décor est le monde dont les continents dessinent leurs contours, et sur lesquels le trajet du bateau s’inscrit en pointillé rouge. Gamblin écrit sur son ordinateur portable, il danse le tango en partageant l’intime et la douleur du navigateur, ses angoisses et ses victoires, qui sont un peu celles d’un comédien solitaire affrontant le vertige du plateau vide et le public inconnu comme une nouvelle mer. L’un avec son bateau, l’autre avec son corps, la tête vers l’horizon, héros mouvants toujours fragiles.
Hélène Kuttner
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