Orphée et Eurydice, vertige sonore et visuel à l’Opéra Comique
Aurélien Bory, metteur en scène passionné par les questions d’espace dans les arts visuels, s’attaque pour la seconde fois à l’opéra en montant l’un des joyaux du répertoire vocal, « Orphée et Eurydice » de Gluck (1774) que Berlioz remania bien plus tard. Le merveilleux des voix suit une ligne mélodique purifiée qui synthétise tous les genres, un vrai poème d’amour et de mort dirigé par Raphaël Pichon et dominé par la présence magnétique de Marianne Crebassa.
Un opéra révolutionnaire
Une épure, l’essence même du drame antique, débarrassé des scories ornementales qui habillaient les opéras du 18° siècle, tel est le projet révolutionnaire dans sa forme que poursuit le compositeur lorsqu’il décide de s’attaquer au mythe d’Orphée, n’en gardant que la force des sentiments, l’intensité du désespoir amoureux, mêlant les arias et les récitatifs pour n’en conserver qu’une puissante tornade dramatique où les trois personnages expriment leur passion. La partition est donc somptueuse, limpide, exprimant au plus haut point les tourments et les affects de chaque personnage, une mythologie revisitée par la passion du romantisme, dont Richard Wagner inventera un genre de spectacle total.
La magie du Pepper’s Ghost
Aurélien Bory utilise un immense panneau réfléchissant, le «Pepper’s Ghost », inventé au 19° siècle et réutilisé aujourd’hui dans des spectacles de magie nouvelle. Pénétrant dans le cadre de scène de l’Opéra Comique, on l’incline à 20° de manière à ce qu’il réfléchisse le plan horizontal du plateau sur le mur du fond, à la verticale. L’effet est saisissant et nourrit judicieusement les métamorphoses du voyage d’Orphée, l’aspect symbolique et magique de son passage de la terre aux enfers, trajet aller et retour pour récupérer son Eurydice. Le décor est une toile peinte de Corot représentant la scène mythologique, sur lequel viennent s’inscrire en surimpression tous les personnages. Jusqu’à la plongée dans les Enfers ou Orphée, qui est l’oeil du spectateur, nous plonge dans les ténèbres de l’invisible, enveloppé par des rubans de nuit.
Perruques platines et personnages androgynes
Marianne Crebassa, jeune mezzo-soprano qui ne cesse de monter, et que l’on retrouvera dans la « Cenerentola » à l’Opéra de Paris puis à la Scala de Milan, campe un Orphée bouleversant, costume sombre d’homme et coupe courte blond platine, créature aux traits gracieux, d’une finesse de porcelaine dans un corps masculin, irradié de douleur. Omniprésente durant toute la représentation, la jeune femme, dont le timbre est serré de souffrance en début de représentation, déploie une profondeur harmonique par de subtiles colorations, passant des graves aux aigus en toute sobriété, précision de l’articulation parfaite, brûlante d’une émotion intérieure, ligne de chant et projection impeccables. Elle est magnifique. Autour d’elle se meuvent les créatures mystérieuses de la nuit et de l’enfer, que sont le choeur de l’Ensemble Pygmalion mélangé à 5 danseurs circassiens qui habitent l’espace en se déplaçant comme des fantômes.
Trio féminin
L’Amour de Léa Desandre, jeune mezzo qui est aussi danseuse, fait des apparitions acrobatiques vertigineuses, tournoyant dans un cercle ou portée à deux mètres au dessus du sol, épousant les lignes géométriques de la Renaissance ou des schémas de Léonard de Vinci. Prouesse vocale, alors qu’Hélène Guilmette, souffrante lors de la première, a fait preuve d’une remarquable résistance vocale, soignant les nuances et la précision de sa ligne de chant en dépit d’un volume sonore modéré, dans le rôle de la belle Eurydice. Dans la fosse, le jeune chef Raphaël Pichon imprime une vivacité d’enfer à son ensemble de musiciens sur instruments d’époque, avec une intelligence formidable de la partition et une attention pour tous, et de tous les instants. Cuivres et cordes, harpe et flûte dialoguent magnifiquement même s’il a pris la liberté de modifier l’ouverture de l’opéra. Une soirée étonnante et merveilleuse.
Hélène Kuttner
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