L’Heureux Stratagème : une bouffée de fraîcheur
Au Théâtre du Vieux-Colombier, la seconde salle de la Comédie Française, le jeune metteur en scène Emmanuel Daumas monte un Marivaux très peu joué dans un dispositif bi-frontal qui fait la part belle aux comédiens, tous d’un naturel et d’une fraicheur formidables. Un spectacle tendre et réjouissant sur les inconstances du coeur.
Eloge de l’infidélité
Et si Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux (1688-1763) était notre premier auteur moderne ? Dans cet « Heureux Stratagème », il plante tristement un amant, Dorante, campé avec une belle rondeur par Jérôme Pouly, après avoir été éconduit par sa sa maîtresse, une jeune Comtesse, piquante Claire de La Rüe du Can, face au jardinier, savoureux Nicolas Lormeau, qui est aussi le père de Lisette, la suivante de la Comtesse, jouée par Jennifer Decker. Comme un jeu de cartes qui s’effondre soudainement, les spectateurs réalisent au début de la pièce, par l’intermédiaire des serviteurs, que l’infidélité de la jeune noble met en péril son mariage prévu, mais va aussi faire péricliter le mariage des deux serviteurs fous d’amour, Lisette et Arlequin, magnifique Loïc Corbery.
Un régal d’innocence
Dans un décor tout blanc, baigné de lumière, mais dont les contours sont des toiles de papier translucide, griffé de traces, les comédiens déboulent dans des vêtements aériens, plein de fantaisie. Le metteur en scène a déjà cassé les codes du classicisme et c’est tant mieux, en impulsant un souffle de fraîcheur, de spontanéité chez ces jeunes gens qui jouent dans une cour où les sentiments, les émotions sont à vif comme dans des jeux d’enfants. A l’âge où ces jeunes gens se fiançaient selon des alliances de classe et d’intérêt, voici une jeune comtesse qui n’en veut faire qu’à sa tête, et s’émancipe de sa relation trop normée, trop confortable, avec son fiancé Dorante. Féministe avant l’heure ? Don Juan en jupon ? Précieuse, coquette ? La jeune comédienne qui l’incarne possède une grâce et une candeur totalement intemporelles, justes et graves à la fois, qui donnent au personnage de la Comtesse toute la vérité d’une gamine obsédée par ses propres désirs, suffoquant dans un monde trop réglé et des certitudes trop évidentes.
Huit comédiens délicieux
La réussite du spectacle tient bien sûr à la qualité des comédiens et à la manière, aérienne, simple, évidente, dont le metteur en scène les dirige. Loïc Corbery, Arlequin en bermuda et vareuse marine, frémit d’émotions comme un gamin contrarié. Jennifer Decker, elle aussi, coiffure de garçon manqué et silhouette androgyne, gracile, tangue entre un bon sens terrien et une posture de coquette. Julie Sicard, marquise vengeresse, joue la perfidie avec une dextérité perverse et Laurent Lafitte fait de son personnage de hâbleur gascon un séducteur bellâtre à l’accent ensoleillé et en chemise Lacoste très sûr de lui. Quand à Eric Génovèse, il se délecte dans le rôle de Frontin à distiller le fiel des romances de son maître, pour notre plus grand bonheur. Tous composent des personnages très justes, proches de nous, parce que vibrants de sentiments contradictoires, qui échappent à la raison. Un bonheur !
Hélène Kuttner
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