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Infidèles, adultère créatif au Théâtre de la Bastille

24 septembre 2018
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©stes.stessel

Les collectifs tg Stan et de Roovers enchevêtrent deux textes d’Ingmar Bergman, le scénario Infidèles et l’autobiographie Lanterna magica. Figure centrale parmi les quatre protagonistes, le célèbre cinéaste qui aurait eu 100 ans en juillet dernier, est à la fois omniprésent et questionné, désacralisé et exploré avec humour, dans le style unique et formidablement décapant de ces compagnies belges.

Selon leur habitude, les comédiens sont sur le plateau lorsque les spectateurs s’installent, posant d’emblée une volontaire indistinction entre personne, acteur, personnage. Le dialogue démarre sur la nécessité de  « jouer à imaginer », comme le dit l’actrice Ruth Becquart qui a récemment rejoint la troupe et s’y insère merveilleusement avec un rôle capital. Dans une incroyable apparence de spontanéité, comme si l’ensemble se fabriquait sous nos yeux, les comédiens mettent en place les éléments de la vie intime de Bergman tout autant que ses processus de création. La situation de départ est celle d’un couple dont la femme se lance dans une relation amoureuse avec leur meilleur ami. L’enfant du couple nommée Isabelle a neuf ans et elle suit malgré elle les balancements entre scènes conjugales et extraconjugales. Jolente De Keersmaeker fait l’enfant sans jamais la jouer puérilement en tant que telle, donnant à voir de manière émouvante et aiguë l’enfance elle-même. Ainsi que cela est énoncé au cours de la pièce, on pourrait d’abord se croire dans du Feydeau, car qu’il s’agisse de Bergman ou d’un homme lambda, de Liv Ullmann ou d’une femme anonyme, la configuration triangulaire de l’adultère tient du vaudeville bourgeois dans ses mensonges accumulés et s’achemine néanmoins vers le drame.

©stes.stessel

La démarche des comédiens tient au jeu dépouillé, à la volonté d’une vraie rencontre avec l’humanité de l’auteur, au refus des fastes illusoires de la théâtralisation et à une absence de décor au sens conventionnel. Ayant l’air de découvrir leurs textes avec ses multiples directions, ils transmettent subtilement au public l’aspect comique, sordide, bas et immensément humain de la situation, jusqu’aux cimes les plus émouvantes des créations qui en surgissent. Le mari musicien s’adresse plusieurs fois aux spectateurs pour analyser un concerto de Brahms et un opéra de Mozart ; décortiquant les interventions des instruments ou des chanteurs, il superpose les réalités intimes des compositeurs à leurs  lignes musicales et invite la salle à entendre la profondeur jaillie des errances des couples, s’attachant à démontrer que « l’amour humain existe ». Grâce aux quatre comédiens qui excellent dans leur démarche, on sourit et on rit parfois de cette comédie sentimentale où Bergman est terre-à-terre, tandis que simultanément on est bouleversé et saisi par les prodiges de la création qui en découlent. Sans complaisance vis-à-vis de Bergman, en maintes variations où fuse le plaisir du jeu, Infidèles est un scintillement subtil d’amour, de sexe et d’art.

Emilie Darlier-Bournat

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