Simon Abkarian prolonge la Méditerranée au Théâtre du Soleil
Dans un éblouissant diptyque, l’acteur et metteur en scène Simon Abkarian présente les deux épisodes de sa dernière création, « Le dernier jour du jeûne » et « L’Envol des Cigognes » à l’invitation d’Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie de Vincennes. L’histoire d’une famille méditerranéenne chahutée par l’horreur de la guerre, entre racines ensoleillées et exil. Un spectacle magistral.
Entre Pagnol et Shakespeare
En 2008, Simon Abkarian, acteur prolifique qui ne cesse de jouer et de tourner au cinéma, avait monté son premier texte, « Pénélope Ô Pénélope », ode théâtrale, comique et tragique qui tournait autour du personnage mythique d’une femme attendant obstinément son époux parti en guerre. Le diptyque qu’il présente à la Cartoucherie est né de ce premier opus. Il brasse les mêmes thèmes, en démultipliant les figures de femmes, magnifiques, et les hommes qui les entourent, dans un pays imaginaire au bord de la Méditerranée qui évoque le Liban, pays où l’auteur à vécu. La langue est fleurie, riche, savoureuse comme chez Albert Cohen, qui croquait ses valeureux de Corfou, les mots dansent comme chez Pagnol sur un tempo effréné, mais le fond de ces histoires apparemment banales est traversé par des secrets tragiques et des drames à la Shakespeare.
Une brochette de comédiens éblouissants
En pleine lumière car le soleil est écrasant, Ariane Ascaride est Nouritsa, la mère nourricière, omniprésente femme-orchestre à l’énergie démoniaque, qui gère tout son monde avec une autorité de fer. La comédienne est d’une beauté, d’un rayonnement magistral, aussi crédible dans ses colères injustes que dans sa générosité naturelle. Sa soeur, Sandra (Catherine Schaub-Abkarian), intellectuelle illuminée mais sage, se déplace comme avec des patins à roulettes, glissant dans une antique robe de mariée. Ces deux-là sont comme les faces d’une même lune, impayables de drôlerie et de tonicité. Il leur faut lutter sans cesse contre la tradition qui veut les enfermer dans l’enclos de leur cuisine, alors que Théos (Dieu en grec), le chef de famille incarné par l’auteur lui-même, émerge de son lit avec la prestance d’un empereur pour savourer son café du matin et que les deux soeurs Astrig (Cholé Réjon) et Zéla (Océane Mozas) rivalisent d’autorité et de perfidie pour briller à leur façon, insolemment libérée et moderne pour l’une, et désespérement romantique et fragile pour l’autre.
Une deuxième partie plus sombre
David Ayala qui joue Minas le boucher, Assaâd Bouab Aris le fiancé, Marie Fabre qui incarne Vava sa mère, Délia Espinat-Dief qui est Sophia la sourde muette puis la jeune fille violée, Pauline Caupenne qui campe Elias puis Dinah, Igor Skebrin (Xenos) l’étranger et Serge Avedikian (Fado), tous sont excellents, d’un engagement et d’une sincérité totalement bouleversants. Ils portent le texte de manière musicale, faisant sonner leur couleur, leur éclat. On regrettera une deuxième partie, « L’Envol des Cigognes » qui se déroule lors de la guerre et de l’exil, plus inégale, avec cependant de superbes instants de lyrisme. L’aspect didactique, répétitif du réel prend le dessus, mais le final, avec les projections vidéos et le flottement entre réel et rêve est très beau. Il y a du souffle, beaucoup de grâce et d’humour dans ce spectacle, et cela fait du bien !
Hélène Kuttner
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