Les rencontres d’Arles 2018
Avec environ 30 expositions, les Rencontres d’Arles s’affirment comme un observatoire de la création actuelle et des pratiques photographiques. Des rapprochements au sein de la programmation se déclinent comme des séquences. Ils permettent d’identifier des rubriques et favorisent, année après année, un suivi au plus près des évolutions de la photographie…
Départ imminent pour la 49e édition des Rencontres d’Arles. Vous serez conviés, cette année, à une expérience spatio-temporelle, à un voyage à travers les époques, sidéral et sidérant. Car la photographie est souvent le médium le mieux placé pour saisir toutes ces secousses, qui nous rappellent que le monde change, parfois juste sous nos yeux. Et une programmation artistique – constellation d’expositions qui se croisent, se répondent et parfois se télescopent – peut devenir une formidable machine à explorer le temps pour appréhender le futur proche à l’aune d’un passé récent, pour mettre en lumière, grâce au regard des artistes, les grands enjeux de notre société moderne.
COURS CAMARADE, LE VIEUX MONDE EST DERRIÈRE TOI
1968 est indissociable des événements de mai. Pourtant, plus largement, c’est l’année des grands bouleversements ; des rares moments où le monde bascule, déstabilisant au passage tous ceux qui croient aux valeurs immuables. Alors, de Martin Luther King à Robert F. Kennedy, on assassine ceux qui dérangent (The Train)… 1968, c’est, avant la révolte, le temps de tous les possibles, cette croyance en la capacité de construire le bonheur à grande échelle, entre rêves et béton. En France, on planifie, on développe, on urbanise. Le delta du Rhône, cette année-là, concentre à lui seul trois symboles de l’aménagement moderne. À quelques mois d’intervalle, on inaugure Fos-sur-Mer, emblème de la concentration industrielle et la Grande Motte, accession pour tous au rêve balnéaire, et on initie le projet du Parc régional de Camargue, préservation – pour ne pas dire fabrication – de l’espace sauvage par excellence. (Paradisiaque !)
C’est cette France-là, ce projet global d’une société qui oscille entre matérialisme et consommation, que conteste la jeunesse de 68, brandissant slogans et pavés. Commentée par les historiens Ludivine Bantigny et Patrick Boucheron, l’exposition 1968, quelle histoire ! tente de restituer, à travers la confrontation des points de vue (archives inédites de la préfecture de police, de Paris Match et de Gamma-Rapho – Keystone), le vent de révolte qui régnait alors à Paris et plus largement dans le monde.
HUMANITÉ AUGMENTÉE
Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, nous sommes de nouveau au cœur d’une période qui fait débat par l’enregistrement systématique de toutes nos données, leur partage et leur circulation. L’avènement de l’homme numérique, tout à la fois, inquiète et fascine. Chaque jour, on annonce un peu plus la victoire de l’intelligence artificielle sur l’intelligence humaine. Chaque jour, on assiste à l’émergence d’une humanité augmentée, d’un cybermonde où la puissance numérique garantit un nouveau bien-être. Santé et sécurité se régulent désormais sur des écrans. Doucement, nous entrons dans le royaume des cyborgs où le transhumanisme s’affirme comme une foi inébranlable en la science et la technique, seules à même de garantir l’amélioration de la condition humaine !
Comme en 1968 où certains opposèrent un vent de liberté, nous assistons aujourd’hui, face à la révolution numérique et à ses promesses d’un avenir posthumain, à des tentatives de retour aux sources. Les réévaluations des fondamentaux incarnent les formes modernes de la résistance. Plus que jamais, on se soucie de la qualité de ce que l’on mange, on valorise les chaînes courtes, le développement durable. Fondées sur d’autres valeurs – écologie, spiritualité, méditation – nous réinventons nos existences. Naviguant entre les extrêmes d’une croyance commune en l’homme, du transhumanisme à l’introspection, nous avançons vers demain.
Jonas Bendiksen a suivi sept personnages de par le monde, qui considèrent sérieusement, confortés par leurs fidèles, qu’ils sont les nouveaux messies. Cristina de Middel et Bruno Morais se sont penchés, de l’Afrique vers l’Amérique, sur la transhumance et les mutations d’Ésù, l’esprit qui dirige les mouvements de la vie. L’architecte Simon Velez a construit un immense temple de bambous pour accueillir les photographies de Matthieu Ricard, moine bouddhiste, proche du Dalaï Lama. Christoph Draeger et Heidrun Holzfeind reviennent à Auroville, la communauté indienne créée en 1968, par Mirra Alfassa – appelée the Mother – et construite par l’architecte Roger Anger, avec pour ambition « la réalisation de 6 l’unité humaine ».
Auroville, la communauté utopiste, accueille aujourd’hui encore près de 2 500 personnes. Matthieu Gafsou se livre depuis quelques années, à l’inventaire de toutes les déclinaisons du transhumanisme. Son projet H+ s’attarde sur les fantasmes d’un futur probable. Un futur où les exosquelettes rendent la notion même d’invalidité obsolète, un futur où la cryogénisation lie entre eux les concepts de vie éternelle et de mort temporaire.
Notre époque inspire les photographes, parce qu’elle nous force à nous projeter, par anticipation, dans un monde jamais très loin de la science-fiction. Un monde à la croisée du réel et du fantasme, de l’imaginaire et du progrès, du futur et de la fiction. Grâce aux artistes, vous découvrirez ce qui n’existe pas encore…
AMERICA GREAT AGAIN…
Il y a un autre anniversaire que nous souhaitons commémorer. Dix ans avant 68, un jeune homme conçoit un livre qui va profondément bouleverser notre regard sur la photographie. En 1958, le photographe Robert Frank et l’éditeur Robert Delpire ont respectivement 34 et 32 ans. Ensemble, ils publient Les Américains, un livre de 84 photographies qui marquera des générations de photographes, d’historiens, de commissaires. Sa vision offre pour la première fois un regard qui tranche avec la complaisance des écoles humanistes d’après-guerre. Robert Frank invente le road trip photographique. Il est rapide, agile, mobile. Il impose le décadrage comme une construction choisie. Avec lui, la photographie change d’ère, et la beat generation trouve son œil. Inévitablement, les critiques pleuvent. À travers la représentation d’une succession de portraits ordinaires, de situations banales, on lui reproche son utilisation méprisante de l’expression « les Américains ». On dénonce son éloge de l’ordinaire, la sacralisation du non-événement. Où est-elle l’Amérique du rêve et de la consommation, celle qui, portée par toujours plus de croissance, promet des lendemains qui chantent ? Elle est là, sous nos yeux, empêtrée dans ses paradoxes d’un monde qui consomme et s’ennuie, d’un monde qui change et bientôt s’opposera avec vigueur aux inégalités, aux injustices accumulées. Bien qu’absents des photos, ceux qui dix ans plus tard brandiront des pavés pour réclamer plus de justice, plus de diversité, plus d’ouverture, ne sont pourtant pas loin, bientôt prêts à crier leur rejet du vieux monde.
L’Amérique n’a finalement pas tellement changé. Elle s’indignait hier qu’un étranger puisse la représenter – Robert Frank est suisse –, elle continue aujourd’hui de stigmatiser l’autre. Tandis que, discours après discours, son actuel – et surprenant – dirigeant prône le repli sur soi, les Rencontres d’Arles vous propose une vision décentrée, preuve que la première puissance mondiale doit un peu de son image au regard des étrangers.
Robert Frank (Suisse), Raymond Depardon (France), Paul Graham (Royaume-Uni), Taysir Batniji (Palestine), Laura Henno (France), ils sont nés en 1924, 1942, 1964, 1966, 1976. Ponctuant chaque génération, leur regard étranger s’est posé sur l’Amérique, déjouant les pièges de la photogénie. Chacun à leur manière, ils ont photographié la violence des contrastes, enregistré la puissance des récits, se sont lancés dans un road trip sans en connaître la destination finale, apportant ainsi, sans le savoir, leur contribution à la fabrique de l’image du pays. L’Amérique, plus que les autres, se nourrit de l’extérieur. Les Rencontres d’Arles – votre festival – s’affirment comme un lieu de partage et de découverte de la photographie dans sa diversité mais aussi dans son acuité à regarder le monde. Elles se veulent un outil pour comprendre, penser, construire la société dans laquelle nous vivons. Car une chose est sûre, les images aussi performent ce monde !
Les Rencontres d’Arles s’affirment comme un lieu de partage et de découverte de la photographie dans sa diversité mais aussi dans son acuité à regarder le monde. Elles se veulent un outil pour comprendre, penser, construire la société dans laquelle nous vivons. Car une chose est sûre, les images aussi performent ce monde !
Toute la programmation en détail ici
[Sources : communiqué de presse]
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