Montpellier Danse, un festival au sommet
La 38e édition de Montpellier Danse s’offre un line-up glamoureux avec seize premières mondiales ou françaises : des dernières créations d’Akram Khan et de la Batsheva aux retrouvailles de Mourad Merzouki et Kader Attou, d’un solo d’Aurélien Bory pour Shantala Shivalingappa à Anne Teresa De Keersmaeker. Et quelques jeunes loups qui agitent le bocal. Incontournable !
Avec les rendez-vous 2018 du festival Montpellier Danse, son directeur artistique Jean-Paul Montanari souligne avec aplomb que Montpellier joue un rôle capital dans le paysage chorégraphique français, notamment grâce au festival annuel de danse le plus important du pays.
Voilà donc, dans l’édition 2018, une première mondiale de la Batsheva et une autre d’Aurélien Bory qui crée un solo pour Shantala Shivalingappa. Mais aussi les retrouvailles de Kader Attou et Mourad Merzouki, les deux chorégraphes hip-hop qui dirigent un Centre Chorégraphique National, et ce, après plus de vingt ans de cheminements séparés.
Khan et De Keersmaeker en scène !
Chose inédite, on verra un solo sur l’immense plateau du Corum. Pour la première fois en France, Akram Khan présente et interprète Xenos, sa dernière pièce dans laquelle il danse en personne. C’est en tout cas ce qu’il annonce depuis qu’il a commencé à travailler sur Xenos, qui interroge notre rapport à l’altérité. En faisant le lien entre des mythes antiques et la montée actuelle de la xénophobie, la star de Londres tire sa révérence avec brio ! Xenos évoque les 1,5 million de soldats indiens comme une partie importante des quatre millions de combattants coloniaux, envoyés au charbon et en enfer par les armées occidentales, au cours de la Première Guerre mondiale.
Anne Teresa De Keersmaeker n’a jamais déclaré ses adieux à la scène, mais il est bien rare de la voir danser de nos jours. Il faut donc profiter de l’occasion, dans Mitten im Leben wir sind – Bach6Cellosuiten, pour la voir illuminer de sa présence l’univers musical de Johann Sebastian Bach, où elle apporte une fois de plus son sens aigu de l’épure, de la construction musicale et de la composition chorégraphique.
La valse des grands ballets
Parmi les autres grandes compagnies mondiales qui sont au rendez-vous, la Dresden Frankfurt Dance Company, anciennement dirigée par William Forsythe, vient avec Extinction of a minor species, une œuvre radicale de Jacopo Godani, son directeur actuel. Cette pièce explore les liens entre la danse et la recherche scientifique que Forsythe lui-même avait mis en évidence dans ses Objets chorégraphiques.
De Madrid arrive l’une des compagnies classiques majeures européennes, la Compañia Nacional de Danza, dirigée par José Martinez, ancien danseur étoile au Ballet de l’Opéra de Paris. On peut y voir un paradoxe, mais c’est la Compañía Nacional de Danza qui danse ici Forsythe, avec trois œuvres, dont Artifact suite, une pièce monumentale pour 45 danseurs, créée en 2004 au Scottish National Ballet.
Des Pays-Bas vient le fameux Nederlands Dans Theater, qu’on appelle partout par ses initiales, NDT. La compagnie présente Shut eye de Sol Leon et Paul Lightfooot, ses directeurs artistiques, et Woke up blind de l’Allemand Marco Goecke qui a déjà créé pour le New York City Ballet et Les Ballets de Monte-Carlo. S’y ajoute une création mondiale de Crystal Pite, très remarquée pour sa création récente avec le Ballet de l’Opéra National de Paris. La Canadienne a par ailleurs forgé son regard ultra-pointu en tant qu’interprète chez… William Forsythe !
Mourad Merzouki et Kader Attou réunis
Il a fallu aller au Maroc pour voir Merzouki et Attou réunir de nouveau leur énergie et leur talent, presque trente ans après qu’ils créèrent ensemble la compagnie Accrorap. Mais leurs deux décennies de travail dans des compagnies distinctes, Accrorap pour Attou et Käfig pour Merzouki, n’ont en rien entravé leur amitié. C’est à Casablanca qu’ils se sont réunis pour travailler avec une sélection de danseurs urbains locaux, pour laisser éclater tout le talent et l’enthousiasme des B-Boys marocains, dans un spectacle plein d’énergie, énergie mise en forme et en propos par ces deux pionniers de la danse hip-hop d’auteur.
Trisha Brown exposée
L’exposition Trisha Brown, une Américaine à Montpellier évoque les neuf passages de l’Américaine à Montpellier Danse, entre 1982 et 2013. La pionnière américaine a marqué la ville par ses spectacles et a laissé une trace tangible, un dessin réalisé au fusain alors qu’elle était couchée au sol, dessinant sur le papier qui est depuis accroché au mur de l’Agora, Cité Internationale de la Danse. C’était il y a seize ans. L’exposition s’articule autour de cette œuvre intitulée It’s a draw et creuse le sillon des échanges d’énergies entre la chorégraphe et la ville de Montpellier, l’une de celles où elle s’est le plus produite.
Israël et l’Inde, en passant par Toulouse
De Toulouse vient le Ballet du Capitole, sous la direction de Kader Belarbi, ancien danseur étoile du Ballet de l’Opéra de Paris. Mais au lieu de montrer une pièce classique, Belarbi invite trois chorégraphes israéliens, et pas les moindres – Roy Assaf, Yasmeen Godder et Hillel Kogan –, à créer avec les danseurs de la compagnie toulousaine, alors qu’en même temps la Batsheva présente, en première mondiale, Canine jaunâtre 3 par Marlène Monteiro Freitas. Cette jeune chorégraphe qui déjoue les codes de l’esthétiquement correct signe ici sa première pièce en tant que chorégraphe invitée par une compagnie extérieure, alors que la Batsheva invite pour la première fois un chorégraphe non israélien. L’irrévérence esthétique de Freitas se confronte donc à l’articulation et l’explosivité qui sont la marque de fabrique de la troupe d’Ohad Naharin.
Aurélien Bory, Alsacien devenu Toulousain, navigue avec bonheur entre les univers de la danse et les arts du cirque. Et il s’apprête à achever, avec aSH, pièce pour Shantala Shivalingappa, son triptyque de portraits de femmes (après Stéphanie Fuster et Kaori Ito). Le titre se réfère à la cendre, élément sacré en Inde qui aide la vie à renaître à partir de la fin d’une vie, s’inscrivant dans un processus cyclique. Pendant ce temps, Shiva est en fête et Shivalingappa dansera « au-delà d’elle-même », comme le nomme et l’espère Bory.
Made in Montpellier
Parmi les artistes présents au festival, certains y ont forgé leurs armes artistiques en ajoutant à leurs études un passage par ex.e.r.ce , le cycle de formation du CCN de Montpellier. C’est le cas de la Brésilienne Paula Pi, de l’Iranien(ne) Sorour Darabi et de la Bretonne Maud Le Pladec. Le Pladec, qui dirige le CCN d’Orléans depuis janvier 2017, poursuit ses recherches sur la relation danse-musique et offre au festival la première mondiale de Twenty-seven perspectives, où elle compose la partition chorégraphique selon des règles qui émanent de la symphonie n° 8 de Franz Schubert, l’Inachevée, laquelle se dissout dans une composition et des arrangements signés Pete Harden.
Sorour Darabi, toujours dans l’entre-deux du féminin et du masculin, remet en cause, dans son solo Savušun, les stéréotypes attribués aux femmes et aux hommes dans la représentation du chagrin, de la peur et de la souffrance. Et Paula Pi présente son solo Alexandre, qui devait initialement être un duo avec Sorour Darabi. Dans les univers des deux, les sexes (“genres”) et les cultures, autant que les corps, forment des no man’s land laissant libre cours à l’intime, dans le refus de l’identité de genre.
Certains vivent en réinventant l’androgynie, d’autres décident eux-mêmes de leur appartenance à un sexe biologique. “C’est la femme que j’ai gardée secrète qui m’a rendue adulte”, dit Phia (ex-Philippe) Menard qui vient à Montpellier Danse avec un nouveau solo, Contes immoraux partie 1 – Maison Mère. Mais comme la réalité est bien plus immorale que les contes, Ménard évoque avant tout les violences de la guerre, qu’elle soit militaire ou économique.
Thomas Hahn
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