“Les Ondes magnétiques”, miroir de nos utopies
Au Vieux-Colombier, l’auteur et metteur en scène David Lescot a installé les comédiens du Français dans un studio de radio libre, de celles qui ont fleuri dans les années 80. La liberté, le joyeux “bordel”, l’anarchie de la révolte sont les ingrédients de ce spectacle extrêmement bien joué, joyeux mais trop documentaire.
La douce époque de tous les possibles
Les quadras s’en souviennent peut-être, c’était en 1980, un an avant la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle. Dans une anarchie souvent bon enfant, sans grenades mais avec beaucoup de parasites et de coupures techniques, quelques radios libres tentent d’émettre en toute illégalité, Radio Verte avec Jean-Edern Hallier et Brice Lalonde puis Lorraine Cœur d’Acier, toutes saisies de manière parfois violente ou brouillées par la TDF nationale. C’est une énergie créative tous azimuts qui tente de forcer le pouvoir. C’est en 1981 que Georges Fillioud, ministre de Mitterrand, décide d’abolir le monopole des radios en autorisant l’émission des radios libres. La jungle est libérée, on s’arrache les émetteurs, on va ouvrir le marché.
Anarchie magnétique
Nous sommes donc de part et d’autre du studio de Radio Quoi, puisque les fauteuils des spectateurs sont installés selon un dispositif bi-frontal. Posters des années 70 aux murs défraîchis, cendriers débordants sur les tables basses, pelotes de fils électroniques courant sur le sol et jeunes gens survoltés, préoccupés à maintenir au micro une logorrhée poétique ou absurde, sans silence, afin de ne pas être brouillés. Sylvia Bergé, géniale en monteuse gauchiste fumant comme un pompier, est toute concentrée sur ses bobines, droite dans ses bottes. Alexandre Pavloff, pionnier de la radio libertaire, Elsa Lepoivre, lunettes et perruque sage, voix délirante et sensuelle qui raconte les fantasmes du dernier condamné à mort attendant la suppression de la peine de mort par Robert Badinter en 1981, Christian Hecq, ingénieur du son tonitruant qui vole au secours de tous les bugs, tous les acteurs sont formidables d’inventivité et d’énergie dans cette peinture décalée et foutraque d’une révolution médiatique en marche.
Le déclin de nos utopies
Rapidement, puisque nous vivons en direct avec les personnages l’avènement et la libéralisation des radios libres en 1981, tout bascule et tout se précipite avec la multiplication des antennes. Radio Quoi n’est pas autorisée à émettre seule et va devoir s’unir avec Radio Vox, dirigée par un rocker chef d’entreprise qui n’a pas oublié le profit financier et l’autorité. Le projet de David Lescot est de décrire, à travers l’aventure de ces deux radios, l’une libertaire, l’autre plus soft et commerciale, la double évolution de la politique socialiste, prise en tenailles entre la créativité tous azimuts et le tournant économique de la rigueur, amorcé en 1983. Le Boss, patron de Radio Vox, incarné par le même Christian Hecq (qui se métamorphose ensuite en cocotte en fourrure blanche), est d’ailleurs directement inspiré par Jean-François Bizot, charismatique directeur de Radio Nova. Discussions et batailles politiques, négociation de la publicité, immersion de la culture pop et du travestissement sexuel, la liberté s’achète aussi à l’époque une conduite guidée par les rails de cocaïne et les nuits au Palace alors que Jacques Higelin chante “la nuit promet d’être belle” et que la chanteuse Nina Hagen prône la décadence. Le spectacle raconte tout cela avec une troupe de comédiens-chanteurs investis et épatants, dont Nâzim Boudjenah en rappeur itinérant avant l’heure. Mais la matière était sans doute trop dense, trop documentée pour qu’il soit totalement réussi.
Hélène Kuttner
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