“Le Quatrième mur”, guerre et spectacle au Théâtre Paris-Villette
Adapté du roman de Sorj Chalandon, Le Quatrième mur est centré sur le chaos de Beyrouth au début des années 80. Par sa densité multidisciplinaire, le spectacle propose une forme qui pulvérise les cadres traditionnels et vient happer le public pour une immersion dans un croisement de tragédies.
L’auteur Sorj Chalandon, romancier et journaliste reporter, a reçu le prix Goncourt des lycéens en 2013 pour ce roman. L’adaptateur et metteur en scène Julien Bouffier s’en empare pour le revêtir d’une tornade d’images et de sons, fascinante et explosive, bousculant les dimensions spatiales et temporelles, faisant surgir un rythme à la fois alangui et rapide.
L’histoire est celle d’une jeune femme qui part à Beyrouth pour mettre en scène la pièce Antigone de Jean Anouilh. Elle reprend par amitié le projet de Samuel, grec et juif, que la maladie a interrompu dans son travail. Elle-même mère d’une petite fille, elle part dans cette ville de tous les dangers pour réunir les comédiens pressentis par son ami. Les acteurs sont issus et représentatifs de toutes les confessions en conflit, à savoir maronites, juifs, chiites, druzes… Pris dans la guerre fratricide, ils tentent pour une aventure théâtrale de surpasser les conflits sanglants dans lesquels ils sont forcément emportés intimement. Réunir une troupe aussi disparate alors que la guerre fait rage est déjà une gageure risquée, mais la jeune femme va vite comprendre que l’horreur va encore au-delà de ce qu’elle avait imaginé.
Julien Bouffier et la scénographe Emmanuelle Debeusscher croisent en permanence la présence des comédiens sur le plateau avec des images qui défilent et les entourent, les mêlant à un autre tempo qui est celui des images d’archives ou de vidéos du Liban reconstruit. Il faut à cet égard saluer le remarquable travail vidéo de Laurent Rojol, car la caractéristique de ce spectacle intense réside en l’art de projeter un flot coloré, onirique et pourtant violent, terriblement réaliste parfois, où l’actrice se fond, emportée dans l’horreur malgré sa rébellion. Le film de la troupe en répétition sur une terrasse blanche propulse Antigone et les héros de la mythologie grecque. Mais ceux qui les incarnent sont aussi les personnes réelles de l’actualité et la furie de la fiction et de la réalité plonge le public dans cette lutte. Le quatrième mur, qui est au théâtre la ligne imaginaire séparant la salle de la scène, est en quelque sorte détruit par l’inventivité de la scénographie. La volonté d’Antigone et celle de la metteur en scène qui ne renonce pas à son projet s’imbriquent. Prolongeant cette troublante superposition, la musique et la voix d’Alex Jacob, qui est sur le bas-côté de la scène, délivrent des sons et des chants impressionnants. La belle interprétation de The Sounds of silence de Simon and Garfunkel arrive en une lave bouillonnante puis s’immisce dans les airs et se répand et enveloppe le passé et le présent.
L’horreur atteint son point culminant dans la dernière partie avec le massacre de Sabra et Chatila, qui interroge amèrement sur l’impact du théâtre. Antigone, la pièce d’Anouilh et celle que projette la metteur en scène venue de Paris, finit dans le sang ; les volontés pacifiques s’évanouissent comme les images et le surgissement de la fillette en fin de spectacle ramène le public sur un terrain où les repères reprennent leurs droits, définitivement imprimés par la tragédie.
Émilie Darlier-Bournat
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