Swann Decamme : « Le réseau est un aspect fondamental de nos métiers »
DJ, producteur, ingénieur du son et fondateur de Curiosity Music, label parisien de musiques électroniques, Swann Decamme s’est volontiers prêté au jeu des questions-réponses.
Depuis quand et comment t’es-tu lancé dans la musique ?
Il y a plusieurs années, j’ai commencé par apprendre à mixer à la DJ AcadéMIX, puis j’ai très vite obtenu plusieurs résidences dans des bars et clubs du sud de la France, dont l’Exotik Café d’Argelès-sur-Mer, où je jouais de la musique deep / tech / minimal. J’ai ensuite intégré Electro-Logic Academy, école privée située près de Narbonne, où j’ai rencontré mon mentor, Frederick-Ali Talaa, alias Neuromotor, qui m’a transmis toutes ses techniques de composition, d’arrangement, de mixage et de mastering. J’ai alors pu me familiariser avec les machines et l’univers du studio. Par la suite, j’ai intégré une formation de technicien du son à l’IDEM, près de Perpignan, avant d’achever mes études par un Bachelor cursus ingénieur du son à la SAE Institute de Paris.
Parallèlement, j’ai toujours composé ma propre musique en studio et mixé en club. J’ai aussi travaillé pour quelques artistes en tant que ghost producer (l’équivalent du nègre en littérature, ndlr) et je m’occupe du mixage et du mastering pour différents artistes indépendants et labels.
Après mes études, je suis resté à Paris, car j’ai eu l’idée de lancer mon propre label en m’entourant d’une belle équipe convaincue par ce projet (plus d’infos sur l’équipe ici). Depuis octobre 2016, nous publions donc un EP ou un album par mois, en digital et parfois en vinyle. Nous organisons aussi régulièrement des événements, afin de nous rapprocher de notre public et de participer au dynamisme de la scène électronique parisienne, française et même européenne, puisque nous avons récemment coproduit notre première soirée au Pacha de Barcelone.
Quelles difficultés as-tu rencontré dans ce parcours exceptionnel ?
Le réseau est une problématique fondamentale. Au départ, je ne connaissais personne et, évidemment, personne ne me connaissait ! Dès lors, il a été très dur pour moi de me faire une place dans le milieu très concurrentiel des nuits parisiennes. J’ai frappé à beaucoup de portes. Le plus souvent, je n’ai pas obtenu de réponses, et les quelques réponses que j’ai reçues étaient négatives. Mais, par le biais d’amis en commun, j’ai obtenu le contact du directeur artistique du Badaboum, un club très à la mode situé près de Bastille. Après nous être rencontrés, il m’a mis en relation avec son ancien homologue du Nouveau Casino. En termes d’organisation de soirées, c’est lui qui m’a donné ma chance pour la première fois en octobre 2016 (plus d’infos ici).
Une fois franchie cette première étape, à condition de faire ses preuves, il est un peu plus facile d’avancer et d’obtenir d’autres opportunités. Malgré tout, je me bats chaque jour avec mon équipe pour accroître la visibilité de nos projets en France, en Europe et dans le monde. Pour ma part, j’ai effectivement toujours eu plus de facilité à traiter à l’étranger, où tout se passe super vite de manière très fluide.
Tu as fondé le label parisien Curiosity Music. Peux-tu nous décrire les valeurs que vous défendez, votre leitmotiv et votre champ d’action ?
L’idée était d’éveiller la part de curiosité qui sommeille en chacun de nous à travers la promotion d’une musique de qualité et d’artistes qui la font vivre aux quatre coins de la planète. Plus prosaïquement, nous essayons de connecter de jeunes talents à des artistes confirmés et de promouvoir une musique de qualité. Nous mettons aussi en valeur l’échange d’énergie avec le public, notamment lors de soirées. Tout ce cercle vertueux s’appuie à la fois sur une démarche de qualité artistique, un effort très important au niveau de la communication, et bien évidement le réseau, aspect fondamental de nos métiers.
Créer ton propre label a-t-il toujours été un objectif pour toi, ou est-ce davantage le fruit du hasard et des rencontres ?
Oui, c’était un objectif, mais je m’imaginais plutôt le faire en milieu de carrière. Ce n’était pas prévu si rapidement ! Or, des échanges avec mon ancienne bookeuse m’ont encouragé à lancer la machine plus tôt. D’un point de vue personnel, je cherchais à développer ma carrière artistique, en tant que DJ et producteur, m’ouvrir et me connecter à davantage d’artistes, de clubs, de promoteurs, de fans.
Il s’est aussi trouvé que j’avais, dans mon cercle d’amis proches, toutes les compétences nécessaires pour concrétiser ce projet. Tout s’est donc fait naturellement. Au lancement du projet, l’équipe était composée de Christopher Bénévent, qui m’a conseillé et mis en relation avec Audrey, sa petite-amie, graphiste, qui réalise les pochettes de nos EP, Sebastien Roullier, journaliste, qui joue le difficile rôle d’attaché de presse, et Sebastien Retail, webmaster, qui gère notre site internet et tous nos visuels, en dehors des pochettes. Voilà comment tout est parti !
Ta carrière de DJ semble de plus en plus internationale. En quoi est-il important pour toi de te tourner vers l’étranger ?
En fait, le proverbe dit vrai : on n’est jamais prophète en son pays ! J’ai un super feeling avec des artistes, promoteurs et bookeurs étrangers. Rencontrer ces personnes m’a permis de développer mes activités à l’international. L’été dernier, j’ai effectué une première tournée dans les Caraïbes, avec des dates en Colombie, en République Dominicaine et à Saint-Martin. C’était complètement fou, j’ai vraiment adoré ça ! Pour être honnête, je réponds à tes questions à bord d’un avion en direction de la Martinique. Je vais y jouer le 23 mars, jour de mon anniversaire. Et je vais poursuivre cette deuxième tournée caribéenne en repassant par la République Dominicaine, avec deux belles dates au programme. En avril, je vais également jouer pour la première fois en Allemagne. J’ai hâte !
Quels sont tes projets ou objectifs à moyen et long termes ?
Le dernier projet en date est le lancement de Curiosity Agency, l’agence de booking liée au label et à notre structure d’organisation d’événements. Jocelyn Grosjean, un ami que j’ai rencontré à Paris, a rejoint l’aventure. Sa mission consiste à développer l’activité de l’agence. Nous avons déjà convaincu huit DJ et producteurs de nous confier la mission de leur trouver des dates, dont des artistes de renom comme Alexi Delano, Marcus Henriksson, Igor Vicente ou encore Quenum, le cofondateur de Cadenza avec Luciano.
Pour le reste, nous allons essayer de continuer à organiser des soirées et de conserver notre rythme d’une sortie par mois au niveau du label. Il y a quelques EP à venir que je trouve vraiment bons. Cet été, nous poserons un peu nos valises dans le sud de la France pour un événement assez exceptionnel : plage, terrasse, soleil, ça va être dingue. Mais je ne peux pas en dire plus pour le moment…
À Paris et plus généralement en Europe, le marché des musiques électroniques est hyperconcurrentiel. Comment te démarques-tu, tant du point de vue de ta propre carrière, que des productions du label ?
À mon sens, la première manière de se démarquer est de travailler « proprement » et dans le respect de la parole donnée. C’est super important pour perdurer dans ce milieu. À l’échelle de Paris, nous occupons une micro niche, puisque nous mettons surtout en valeur des artistes et production tech house / minimal. Or, depuis quelques années, la mode est plutôt à une techno plus dure et moins mélodique, qui est d’ailleurs moins ma tasse de thé.
En février, nous avons lancé CURIOUS, un nouveau concept de soirées à travers lequel nous cherchons à surprendre notre public de différentes manières. Nous y avons notamment reçu le légendaire John Acquaviva et le très rare Robert Babicz, qui nous a offert un magnifique live. Nous avons vécu deux très belles soirées, et les retours du public sont globalement hyper positifs, ce qui encourage toute l’équipe à continuer. Je tiens d’ailleurs à remercier tous ceux qui nous aident, de près ou de loin, à mettre sur pied ces événements. CURIOUS reviendra donc à Paris, mais nous pourrions aussi envisager de développer ce concept ailleurs, en France et pourquoi pas à l’étranger.
De quelle manière penses-tu que le marché va évoluer dans les prochaines années ? Paris va-t-il rester un épicentre des musiques électroniques, ou plutôt faire tâche d’huile au profit d’autres villes et régions ?
C’est très difficile à anticiper. Tout évolue si vite et pas toujours dans les directions qu’on aurait imaginées. Il y a toujours eu et il y aura toujours des tendances. Actuellement, la grosse techno industrielle continue à marcher très fort à Paris. Pour autant, même s’il y a des hauts et des bas, le choix musical à Paris est vraiment vaste. Le 8 décembre 2017, lorsque nous avons programmé Gaiser et Miguel Bastida au Zig Zag, il y avait face à nous une trentaine d’événements autour des musiques électroniques. C’est complètement dingue ! De notre côté, nous essayons autant que possible de développer nos activités en dehors de Paris. Nous avons déjà organisé des événements à Nantes, Lille et plus récemment Bordeaux. Nous allons continuer à le faire, mais là encore, cela nécessite de développer un solide réseau. Et il n’est pas question d’abandonner la capitale, parce que Paris est magique !
Quels conseils donnerais-tu à un jeune qui voudrait se lancer dans la production de musique, le DJing ou la création d’un label ?
Du travail, encore du travail et toujours du travail. Il faut aussi savoir prendre des risques, toujours aller de l’avant et rester positif.
Propos recueillis par Baptiste Petit
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