« Quoi/Maintenant », satire brillante de la famille bobo
Le collectif flamand TG Stan revient au Théâtre de la Bastille avec un spectacle formidablement imbibé des deux caractéristiques qui fidélisent son public : la dérision et le sens festif. Cette fois, c’est la famille aisée d’aujourd’hui étiquetée bobo qui est passée joyeusement au crible.
La pièce est un montage habile de deux textes. D’abord, tel un court prologue, c’est une adaptation de Dors mon petit enfant de Jon Fosse qui est proposée, donnant à la poésie de l’auteur norvégien une tonalité absurde. Sans rupture, c’est ensuite Pièces en plastique de Marius von Mayenburg qui se déroule en une comédie acerbe. Les quatre comédiens deviennent alors un couple ayant un enfant d’environ huit ans, en compagnie de leur ami Serge, artiste conceptuel. Ce dernier et l’enfant sont interprétés par le même acteur, dont la carrure très imposante mêlent judicieusement des traits à la fois naïfs et grotesques. L’événement sur lequel repose tout l’enjeu de la pièce est l’embauche d’une nouvelle domestique. Pour des bobos ouverts et tolérants, désireux de remédier aux inégalités sociales, comment concilier la présence d’une femme de ménage mal payée à la maison et les théories proclamées ?
La plongée dans cette famille est un régal de dissection sociologique. Les comportements, les anecdotes, les mots et les gestes sont pointés avec justesse, montrant les codes de la bourgeoisie contemporaine occidentale sous une tonalité comique. TG Stan, dont les comédiens se mettent en scène eux-mêmes après un long travail sur le texte, entraine la pièce de l’auteur allemand dans sa plus subtile causticité. Comme toujours et savamment dosé, le jeu des comédiens passe par la complicité avec le public, qui est pris à témoin mais aussi pris à parti avec délicatesse et jamais agressivement.
La haute voltige du collectif TG Stan baigne dans une harmonie décapante. Ils griffent mais ils n’attaquent pas, ils désossent mais ils font rire. Les ravages sociaux ont lieu sur fond de discours sur l’art, la dévastation au sein du couple se révèle avec un verre de vin blanc à la main, la tristesse de l’enfant se lisse sous le vernis à ongle et les impostures d’une forme d’art contemporain piétinent ridiculement la réalité. Le public, particulièrement jeune, s’amuse et se regarde ; il jubile et s’interroge dans un partage festif quant à ce qu’il représente là et aujourd’hui. Dans Quoi/Maintenant, il y a incontestablement une cruauté aux accents d’un Labiche moderne rehaussé grâce au talent particulier de TG Stan, d’une teinte délicieusement corrosive.
Emilie Darlier
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