Un album au Rond-Point : Follement Dosch
Seule en scène, Lætitia Dosch nous tend un miroir multi-facettes de notre société, avec une galerie de personnages drolatiques. Une extraordinaire performance inspirée de Zouc.
Elle en a croisé des gens dans sa vie déjà bien remplie, Lætitia : lors d’auditions, dans des salles de sports, des hôpitaux, la rue, les bars la nuit… La trentenaire a écouté des hommes et des femmes de tous milieux sociaux, âgés de trois mois à 96 ans, des riches, des pauvres. C’est cette diversité qu’elle a souhaité montrer sur scène, sous le regard précieux de Yuval Rozman, qui l’a aidée dans l’écriture et la mise en scène, à partir d’improvisations.
Lætitia a donc plongé dans les résidus de sa mémoire pour incarner ces 80 personnages. Rien que ça ! On y croise ainsi une actrice éplorée, un réalisateur dépravé, une voyante illuminée, une psy azimutée et un bon nombre de dépressifs… Bref, une collection comme l’Alboum de Zouc. D’ailleurs, en inscrivant, dès son titre, sa filiation avec cette l’humoriste suisse très singulière, Lætitia lui rend un magnifique hommage.
Beaucoup on oublié Zouc, qui, à l’instar de Pierre Desproges – en moins acide et en plus grave – a su rompre avec les règles du stand up : plutôt que de faire jaillir une blague à chaque phrase, elle creuse le sillon d’un humour plus subtil, ponctué par des silences pesants, révélateurs des failles de ses personnages, ne craignant jamais de susciter le malaise.
Portraits sensibles
À vrai dire, on craignait une pâle imitation, mais ce spectacle est très personnel. Comme sa muse, Lætitia explore le registre tragi-comique et ses portraits, bien que croqués sur le vif, ne manquent pas de profondeur. Les uns jouent, dansent, les autres font l’amour (enfin plutôt « coïtent ») ou agonisent. Tous sont reliés par leurs problèmes : une piqûre de guêpe, des pulsions à assouvir, une directrice de casting peu convaincue, des kystes qui prolifèrent… Si la mesquinerie est souvent le lot commun, chacun crève avant tout de solitude et est vraiment borderline.
Il y est donc question de théâtre et de cinéma, de sexe, de famille, de pouvoir, d’amour ou de mort. Les situations sont évidemment tirées de nos vies de dingues. Car, mine de rien, par petites touches, elle traite de sujets graves : comment la crise se traduit concrètement dans les rapports humains ?
Ici, pas de costumes, ni de décor. Pour seul accessoires : un fauteuil utilisé à bon escient. Cette actrice hors pair ne s’appuie sur aucune béquille, ni artifice. Un peu comme une transformiste, elle a, en revanche, plus d’un tour dans son sac. Elle maîtrise parfaitement sa voix, son corps, la technique de jeu, donc, mais aussi l’énergie. Comme dans une séance d’exorcisme, elle sent véritablement ses personnages, les capte et leur donne vie.
Traversée humaniste sur le fil
Diplômée de la classe libre de l’École Florent et de la Manufacture – Conservatoire national de Suisse Romande, Lætitia a un talent fou. Elle s’est d’abord fait connaître au cinéma. Elle aime travailler sur des formes expérimentales et conduire ses propres projets, notamment une exploration autour du one woman show.
Et pour le coup, son interprétation détone. La métamorphose est permanente. Un geste, une posture, une phrase, une intonation, un tic suffisent. Jouant sur les contrastes, elle peut être désopilante, touchante, voire inquiétante par moment, et même agaçante. Car elle a une prédilection pour les hystériques de tout poil et un don particulier pour incarner les « pétasses ». À ce titre, une des scènes les plus hilarantes est certainement celle des chiens, que l’on associe sans peine à son maître, car comme le dit l’adage « Qui s’assemble se ressemble ».
Son plaisir de jouer est communicatif. Elle a une aisance, une présence, du culot. Toutefois, ce spectacle explore des bribes de vie avec une certaine tendresse. Elle fait corps avec ses personnages. Pour autant, il n’y a aucune complaisance. Équilibre subtil entre la cruauté et l’empathie : elle est « à la recherche d’un rire ambigu, teinté d’affection, ou de peur, ou de dégoût parfois, qui vous pince le cœur », explique-t-elle. On aime vraiment son jeu tout en rupture, sa sincérité et sa liberté de ton.
Enfin, la partition est construite avec finesse. Pour ce kaléïdoscope, Lætitia Dosch et Yuval Rozman ont préféré une forme fragmentaire, explosée, déstructurée, à qui ils ont su donner fluidité, rythme, souffle. Et c’est parfait pour ce seul en scène décidément bluffant.
Sarah Meneghello
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