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Larry Clark et la culture du skateboard

Antonin Gratien 20 novembre 2017
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© Larry Clark, Kids, Warner Bros

Larry Clark s’impose comme le metteur en scène excentrique et cru, emphatique et convaincu, d’une frange de la population longtemps méprisée, sinon carrément rejetée : les skateboarders. L’exposition de la galerie Rue Antoine dédiée à son travail photographique est l’occasion de revenir sur ce thème obsessionnel au sein de son œuvre.

Indéniablement, Larry Clark fait partie de ces artistes aux leitmotivs tenaces. Esthète incontournable des jeunesses à vau-l’eau, il est reconnu comme le metteur en scène des skateboarders. De ses débuts avec Kids (1995), en passant par Wassup Rockers (2004), jusqu’à sa dernière œuvre en date, The Smell of Us (2014), on ne peut qu’être frappé de la persistance des scènes de skateboarding.

Quand les jeunes adolescents de Clark ne se meuvent pas en skateboard, ils se battent avec des skateboards, voire draguent par le skateboard. Même si aucun des films ne porte sur la pratique même, le cinéma de Larry Clark traite essentiellement de cette culture underground.

© Gareth Cattermole

Le skate et Clark

Pour expliquer l’origine de cette récurrence thématique – d’autant plus étonnante que le réalisateur n’est monté sur une planche qu’à l’âge de 50 ans –, on peut tout d’abord arguer du goût inné de Larry Clark pour les « petits groupes d’individus inconnus de la société », comme il le reconnaît lui-même durant une interview de 2010 donnée dans le cadre du vernissage de son exposition au Musée d’Art Moderne de Paris.

Le skateboard fût longtemps l’apanage d’une petite communauté marginalisée, notamment issue de New-York ou San Francisco. L’un des objectifs du cinéaste était donc de mettre en lumière les codes et le mode de vie de cette subculture jusque-là invisible aux yeux du grand public. Objectif pleinement atteint en 1995, Kids est un succès.

Si depuis les années 1990 le skate est devenu un des emblèmes du cool, c’est en partie parce que ce film lui a donné ses lettres de noblesse. Désormais, le phénomène n’est plus réservé à une famille de jeunes « fucked up » étranges et inquiétants. Une nouvelle norme sociale s’est imposée, dont témoigne le succès du streetwear, la notoriété d’un Tony Hawk, ainsi que la floraison des skateparks dans les métropoles urbaines.

© Larry Clark, Kids, Warner Bros

Ballade urbaine, envolée imaginaire

Mais le skateboard, dans la filmographie de Larry Clark, ne représente pas seulement la voie d’accès à un cercle sociologique spécifique. Il est aussi un artefact incarnant l’esprit de l’adolescence désemparée qui touche tant le réalisateur. En effet – chose qui n’a pas échappé, non plus, à Gus Van Sant – le skateboard est partie liée avec un hédonisme morose, voire morbide, qui est caractéristique du passage à l’âge adulte.

Que les adolescents filmés par Larry Clark soient originaires des quartiers pauvres de Visalia, en Californie (Ken Park), ou de la bourgeoisie parisienne (The Smell of Us), qu’ils pratiquent dans des petites cours privées ou près du Palais de Tokyo, les protagonistes font tous, du skateboard, un outil fantasmagorique.

Dans un écosystème fictionnel où la figure parentale, usuellement protectrice, se fait, sinon absente, du moins menaçante, violente, et abusive, ses « kids » se bâtissent un monde commun en rupture avec le réel grâce au skateboarding.

© Larry Clark, Kids, Warner Bros

La ride, une fuite en avant

Dans la filmographie de Larry Clark, cette discipline se présente donc comme un exutoire lyrique, mais ambigu. En effet, s’il est évident que la pratique du skateboard permet de constituer un entre soi solidaire, une bulle communautaire en apparence chaleureuse, il est également vrai que cette coquille apparaît vite assez vaine. Certes, le skateboard est un exercice d’indifférenciation contre des problématiques relationnelles ou existentielles, mais apporte-t-il une « solution » ?

En somme, avec son roulement monotone, ses tricks ratés, sa planche brisée, le skateboard, chez Larry Clark, offre aux protagonistes une ligne de fuite vers un espace insularisé, en même temps qu’il rend impossible une authentique confrontation avec le réel.

Qu’on ne s’y trompe pas : si ses personnages sont des emblèmes de nonchalance sur leur planche, c’est bien parce qu’ils esquivent des situations figées pour se jeter avec insouciance dans une perdition aux formes multiples : drogue, délinquance, prostitution.

Loin d’être la discipline un peu abrutie de bandes de jeunes, Larry Clark nous invite à donner un nouveau crédit au skateboard. Celui d’un élan d’émancipation qui rend possible les premières explorations et rencontres – heureuses ou non – si emblématiques de l’adolescence.

© Larry Clark, The Smell of Us, Polaris Film Production

Antonin Gratien

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