“Amour”, tout un spectacle
Sur le thème de l’amour, Guillaume Barbot et son équipe proposent un spectacle joyeux, riche et émouvant où s’étreignent la danse, les mots, la musique et les images. On y virevolte sur le tempo aérien de magnifiques comédiens qui insufflent une authenticité rafraîchissante.
Fidèle à sa démarche, le concepteur et metteur en scène Guillaume Barbot n’a pas saisi un texte de théâtre proprement dit mais a pioché des bribes de textes à travers des ouvrages de philosophie, des lettres ou des journaux. On reçoit ainsi des extraits des livres de Derrida, Barthes, Badiou, Vaneigem ou Charb, dont les propos et éloges sur l’amour sont donnés si intelligemment et généreusement qu’on les entend dans toute leur densité sans pour autant être écrasés par la gravité de la philosophie. C’est que ces discours amoureux sont interprétés avec une sincérité claire et légère, qui émeut et parle.
Venant avec tact relancer un mouvement, les danses des uns et des autres, multipliant les styles chorégraphiques, offrent de belles suspensions. Les enchaînements sont d’une telle fluidité que l’on glisse d’une image à un dialogue sans s’en apercevoir, pris par cette magie qui n’est pas un numéro de prestidigitation mais une délicate réflexion. Les comédiens, les musiciens et chanteurs ont le talent subtil qui consiste à ne pas se donner en spectacle. C’est bel et bien le spectacle de l’amour, avec ses brisures et ses interrogations, qu’ils offrent au public.
Sur le plateau, une fenêtre en fond de scène maintient tout du long sa lueur, tandis que quelques platebandes vertes et broussailleuses évoquent une nature livrée à elle-même. Il n’y a pas de complexité de dispositif, pas de technique délirante et pourtant l’inventivité et l’authenticité opèrent constamment. Le violoniste, la xylophoniste, la chanteuse lyrique, tous font jaillir des instants qui tour à tour nous emportent vivement tout en maintenant une fragilité permanente qui transmet la réalité de l’amour. Et l’amour y est peint ou questionné dans tous ses degrés. Depuis des paroles d’enfants jusqu’à Dorine – extraordinaire destinataire et épouse du philosophe et journaliste André Gorz –, âgée de 84 ans, l’amour se pose, s’envole et revient, d’âge en âge, d’obstacle en espoir.
Ce spectacle qui se veut une immersion dans le monde des sensations y parvient de toute évidence. Il compose un enlacement de corps et de pensées qui brave avec tendresse l’environnement actuel de virtualité. Il ravit, il fait frémir et incarne une audace face à des percées cyniques contemporaines.
Émilie Darlier-Bournat
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