Aurillac 2017, festival de rue(s) débridé(es)
Festival d’Aurillac Du 23 au 26 août 2017 Aurillac |
Du 23 au 26 août 2017 Le Festival d’Aurillac est le plus grand rendez-vous des arts dans l’espace public. Dix-sept compagnies dans le In, six-cent dans le Off. Un « Festival international de théâtre de rue », comme ils disent? Pas seulement. Dans les grands spectacles, théâtre, musique et danse se mélangent: Avec Teatro del Silencio, Theater Titanick et Cie Off, trois ensembles emblématiques dominent l’édition 2017. Teatro del Silencio a été fondé par Mauricio Celedon au Chili, en 1989. Theater Titanick s’est créé la même année, en Allemagne. Et Philippe Freslon a lancé Compagnie Off en 1986. Les trois ensembles font partie de ceux qui ont marqué les arts de la rue. Teatro del Silencio? Le nom vise juste, puisqu’ils renoncent au texte et mettent l’accent sur le corps des leurs acteurs et circassiens, engagés jusqu’au bout. Il est trompeur, puisque leurs musiciens font monter les décibels. « Oh! Secours » s’inspire de l’œuvre de Beckett. Mais cet univers-là est fait de silences, autant que de mots. Aussi Teatro del Silencio ne peuvent que nous amener vers un Beckett hurlant, même s’il hurlera au-delà des mots, comme dans le tableau d’Edvard Munch. Mauricio Celedon aime les mouvements de groupe, voire de foules. Il renforce donc sa troupe, déjà forte de quatorze mimes et circassiens, par un groupe d’amateurs, chaque fois constitué de citoyens locaux. Car même dans sa rencontre avec Beckett autour de nos mystères philosophes, Celedon se lance dans une fresque vivante, et ne renonce en rien à la signature fulgurante du Teatro del Silencio. Alice cherche pays à merveilles Il y a presque vingt ans, la troupe franco-chilienne laissa son empreinte sur Alice et le récit fondateur de Lewis Carroll (« Alice Underground »). Aujourd’hui c’est aux Allemands de Theater Titanick de s’en emparer, avec leur style monumental, très imagé et colorié.
Dans « Alice on the run », la jeune héroïne est une migrante, forcée d’abandonner son pays. Sur le chemin de sa fuite, elle rencontre les créatures les plus énigmatiques et effrayantes. Alice cherche un nouveau chez-soi, comme les millions qui fuient la faim ou la guerre. Elle doit affronter les dangers de la route, les vigils, les bureaucrates, la xénophobie… Comme Alice, le spectateur traverse un déluge d’images et de sensations. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=q6vwXnj1DAw[/embedyt] Juliette en terrain vague Alice est par ailleurs une future Juliette. L’amante de Roméo ne cesse de rebondir dans le monde contemporain. Et avec elle, les clans des Capulet et des Montaigu. Dans « Wild Side Story », Roméo et sa Juliette ont acquis une première expérience en matière d’urbanité contemporaine. Mais elle date des années 1960, et le monde a bien changé depuis. Il fallait donc la renouveler. Pour « Wild Side Story », Philippe Freslon et la Compagnie Off réunissent donc cinq danseurs, sept comédiens et cinq traceurs, un coordinateur cascades, trois « pilotes cascades » et un « coordinateur parkour » qui n’est autre qu’Antoine Le Ménestrel, grand pionnier de la danse-escalade qui a connu la frayer et le privilège d’escalader les quarante mètres de la Cour d’honneur à Avignon, dans une création de Romeo Castellucci. Vous disiez, traceurs? Nous connaissons le parkour, initialement appelé free running ou art du déplacement. Cet art acrobatique et spectaculaire, poétique et solidaire, né dans l’espace urbain des villes nouvelles, est enfin invité à rejoindre la grande scène des arts de la rue. Dans une urbanité très contemporaine, le duel entre Thybalt et Mercutio se déchaîne sur des capots de voitures-bélier qui foncent l’un vers l’autre. Exubérance shakespearienne en rodéo de voitures… Où Roméo et Juliette se suicident ensemble, dans « le saut de la mort en automobile ». Le Frère Laurent, ici un dealer d’oxygène, n’y peut rien. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=vQzntU6pUJE[/embedyt]
Dans ses dimensions monumentales, sa dynamique et la réunion de danse, théâtre, parkour et cascade, « West Side Story » qui fête sa première au Festival d’Aurillac, s’annonce comme l’une des productions les plus importantes en arts de la rue depuis la création du festival. La chorégraphie du bal intègre une vingtaine de danseurs amateurs. Mille spectateurs en mouvement sous un pont d’autoroute, un « Point zéro » des relations sociales. Explorations intimes Dans l’espace public, chacun s’affirme d’abord par son corps, par sa démarche, par ses gestes, par la surface. Mais les arts de la rue questionnent l’intimité de ce corps, ses frontières, sa vulnérabilité, sa fonction de signe social. Et cela peut être assez violent. La compagnie Les Arts Oseurs se penche sur un épisode occulté de l’histoire, un épisode inavouable, qui touche d’abord à l’amour, puis à la haine. « Les Tondues », un spectacle déambulatoire, évoque les vingt mille femmes tondues en place publique pour leurs relations amoureuses avec des soldats de l’armée hitlérienne. Sous forme d’enquête sur un double tabou, « Les Tondues » renvoie à un châtiment public, par le théâtre, la danse et la musique, et pose la question à savoir si la société peut s’ériger en propriétaire du corps de la femme. Dans « Dévêtu(e) », un « entresort thalassothérapique » (sic!) de la compagnie du Thé à la Rue, chaque spectateur enfile un peignoir et est invité à pousser les portes des entresorts pour une « exploration du corps sans tabou ni provocation au travers d’une douzaine de propositions mêlant théâtre, danse, arts numériques… » La compagnie Ilotopie, qui fait partie des grands créateurs en arts de la rue avec bientôt quarante ans au compteur, emmène le spectateur bien plus loin encore, vers lui-même. Manger un acteur? Oui, c’est en quelque sorte de cela qu’il s’agit. Le menu du jour, œuvre du chef cuisinier Cyrille Bailly, est à picorer directement sur le corps des actrices et acteurs. Quand le maître de cérémonie découpe leurs costumes, il dévoile chez chacun(e) de drôles d’excroissances corporelles. Par leurs textures, leurs odeurs et leurs goûts, les mets proposés sont indéfinissables mais bien sûr réjouissants. Ce corps à corps gastronomique touche à la séduction autant qu’au cannibalisme. Rituels urbains François Chaignaud est l’unique artiste chorégraphe identifié comme tel dans le champ artistique, présent au festival In. Son duo « Radio Vinci Park » avec le plasticien Théo Mercier et la claveciniste Marie-Pierre Brébant se déroule dans un parking souterrain: Un rituel chorégraphique fait de scènes de domptage, de parade amoureuse, d’enlèvement, de duel, développé à la Ménagerie de Verre de Paris. Autre rituel contemporain avec figures de guerriers (Massaï, soldat-chien, boxeur ou Moujahidine): « Oracles » par Ordinary Damaged Movements. Des apparitions instantanées qui interrogent notre modernité, notre frénésie, nos compulsions… Et dans le Off? Relevons des « compagnies de passage » (selon la terminologie inventée sur place) comme Tango Sumo, Fritchi Concept, Etadam, Pied en Sol et les Espagnols de Del Reves avec leur danse verticale, l’une des références de ce genre de danse sur façades de bâtiments, spectaculaire et poétique. Thomas Hahn [Crédits Photo : Cie Off / Daniel Aimé / Martin Jehnichen / Cie Off / Dominique Noel / Erwan Fichou] |
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