L’Hôtel du Libre-Échange : une bulle de fantaisie et de folie au Français
L’Hôtel du Libre-Échange De Georges Feydeau Mise en scène de Isabelle Nanty Avec Thierry Hancisse, Anne Kessler, Bruno Rafaelli, Alain Lenglet, Florence Viala, Jérôme Pouly, Michel Vuillermoz, Bakary Sangaré, Christian Hecq, Laurent Lafitte, Rebecca Marder, Pauline Clément, Julien Frison et les comédiens de l’Académie Marina Cappe, Tristan Cottin, Ji Su Jeong, Amaranta Kun, Pierre Ostoya Magnin et Axel Mandrin En alternance à 20h30 ou 14h Tarifs : 5 euros à 42 euros Réservation en ligne ou par tél. au 01 44 58 15 15 Durée : 2h20 sans entracte Comédie Française |
Jusqu’au 25 juillet 2017
Isabelle Nanty signe sa première mise en scène à la Comédie Française. Dans des décors et des costumes de Christian Lacroix, le burlesque noir de Feydeau se patine de mélancolie et Christian Hecq est absolument irrésistible. L’écume des couplesRien de tel pour libérer les fantasmes et les désirs qu’une époque verrouillée par la morale et les interdits de façade. En 1894, Georges Feydeau signe sa dixième pièce, après « Tailleur pour Dames » et « Le Système Ribadier ». Sur les boulevards, c’est le maître du vaudeville et sa vie conjugale mouvementée l’inspire dans ses descriptions caustiques des couples bourgeois de Paris. Justement, la pièce commence chez les Pinglet, à Passy, par une dispute entre les deux époux. Madame Pinglet (Anne Kessler) essaye des tissus avec sa couturière, et vient prendre conseil auprès de son mari, entrepreneur dans le bâtiment (Michel Vuillermoz), alors qu’elle a décidé une fois pour toutes qu’il n’avait aucun goût et qu’il lui faudrait décider le contraire de ce qu’il dirait ! « Ah ! si on pouvait voir les femmes vingt ans après, on ne les épouserait pas vingt ans avant !… » confie Pinglet en se plaignant de sa virago d’épouse. Feydeau donne d’emblée le ton : le mariage ne conduit qu’à la frustration des hommes et à l’insatisfaction de leurs épouses. Echangisme à tous les étages « Sécurité et discrétion ! Hôtel du Libre-Echange, 220 rue de Provence, recommandé aux gens mariés, ensemble ou séparément ! » C’est ici que va se tenir la plaque tournante de la pièce, ce tourniquet étourdissant comme une promesse de plaisir pour Pinglet qui décide de s’étourdir avec Marcelle Paillardin (Florence Viala) la femme de son meilleur ami architecte, mais aussi pour le jeune étudiant Maxime (Julien Frison) qui accepte grivoisement d’être débauché par Victoire, la bonne (Pauline Clément). Depuis que l’ami Mathieu a débarqué avec ses 4 filles, il a bien fallu le loger. Ils vont donc tous échouer dans cet hôtel borgne aux chambres parfois hantées, dans lequel Bastien (Laurent Lafitte) surveille les entrées et les sorties avec Boulot (Bakary Sangaré) qui troue les murs pour mater les cocottes. Dialogues aux petits oignons, situations qui frisent le ridicule et le cocasse, quiproquos désopilants, la peinture de cet hôtel ressemble à celle de centaines d’autres de l’époque, pour être une antichambre peu reluisante des désirs inassouvis et des fantasmes de chacun. Lavis et pastels de Vuillard Les peintres Caillebotte, Bonnard, Valloton et Vuillard sont les grands inspirateurs des décors signés Christian Lacroix qui s’amuse avec délicatesse à éclabousser les murs et les plafonds de teintes douces (vert profond, rose tendre), ménageant des espaces pour la fenêtre du parc, des portes qui claquent et qui se ferment à clé, des sofas rose dans lesquels on se pâme et on se laisse caresser. L’Hôtel lui-même nous offre ses chambres en coupe ouverte, à la manière d’une maison de poupée avec passerelle métallique à la Gustave Eiffel et c’est Laurent Lafitte (Bastien), introduisant chaque scène comme un meneur de cabaret, qui entonne par une chanson populaire les transitions entre chaque scène. « Plaisir d’amour », « Le temps des cerises », « Tea for two » sont quelques unes des rengaines immortalisées par Trenet ou de Mignon du Paris de la Belle-Epoque. Comédiens nostalgiques Si on rit beaucoup aux dialogues et aux situations décalées, grand-guignolesques que ces bourgeois traversent en franchissant le rubicon de la morale chrétienne, Isabelle Nanty a choisi dans ce spectacle de mettre en avant le rêve, la part d’enfance et de mélancolie de chaque personnage. Michel Vuillermoz campe ici un mari prêt à tout sacrifier pour un vent de liberté coquine avec Forence Viala, avec le plus grand sérieux qui les laisse dépités, au vu du scabreux hôtel qui casse leur rêve adolescent. De même, Jérôme Pouly est un bêta ordinaire avec ses moustaches en tire-bouchon et son costume de tweed écossais à carreaux, et Anne Kessler une râleuse totalement évanescente dans sa robe bleue pervenche. Les costumes sont réjouissants, et les quatre filles de Christian Hecq, dont les cheveux en bataille se dressent avec son bégaiement en cas de pluie, sont aussi ridicules et touchantes que l’allure de leur père en provincial mal accoutré. La mise en scène force le trait, ce qui ralentit parfois le rythme, mais le spectacle a le mérite d’embarquer les spectateurs dans une satire sociale aussi critique que tendre. Hélène Kuttner [Crédits Photos : © Brigitte Enguérand, coll.Comédie-Française] |
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