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 Sauvegarde et restauration d’une terre cuite de Jean-Baptiste Carpeaux par Isabelle Pitre, Maître artisan, A l’Atelier : la tête était séparée du buste.
L’œuvre à restaurer : buste en terre cuite réalisé par Jean Baptiste Carpeaux représentant Anna Foucart.
Jean-Baptiste Carpeaux s’était épris du charme de la jeune Anna Foucart, âgée alors de quatorze ans et fille de son ami Jean-Baptiste Foucart, avocat à Valenciennes, chez lequel il loga à son retour de Rome en 1860 ”…charmé par le sourire de la fille aîné de son camarade, Carpeaux exécute le buste de la jeune Anna Foucart.(…) les séances avec la jeune fille espiègle sont d’une gaieté qui le ravit ..’.(Louise Clément-Carpeaux). Cette passion donna lieu à de nombreuses œuvres dont cet exemplaire dit L’Espiègle. A l’origine la tête coquettement coiffée d’une couronne de pampres et feuilles de vigne, l’Espiègle séduisait par la vivacité de son regard et son sourire coquin et malicieux malheureusement le buste représentant Anna Foucart m’est apporté en deux morceaux
Tout d’abord j’apprivoise l’œuvre : j’établi un constat d’état.
Il s’agit de bien comprendre à la fois la structure physique et mécanique de la sculpture et les propriétés chimiques des matériaux afin de définir et organiser les produits, méthodes et gestes qui garderont à l’objet ses propriétés historiques et son esthétique :
– Buste en terre cuite signé et daté portant deux sceaux précisant la provenance et la propriété de l’atelier de l’artiste.
– sculpture de 51 cm cassée au niveau du cou en deux morceaux distincts. La tête s’est séparée du buste suite à un choc.
– La terre cuite est un matériau céramique obtenu par la cuisson d’argile et qui reste fragile.
– une fissure est présente au niveau de la base du cou et part vers le buste doit être consolidée.
– De nombreux éléments sont absents. Des morceaux de feuilles au nombre de dix sont à réintégrer avec des matériaux stables et réversibles en suivant le style, les proportions et la couleur. Les angles de la base du buste sont également à réintégrer.
– La tête est de taille humaine et massive.
– La masse de la tête est à considérer pour la stabilité de la fixation des deux parties.
– La cassure est irrégulière, elle présente quelques manques.
– La tête à été volontairement réalisée par Carpeaux penchée en avant, cette pente accentue la difficulté de fixation de la tête sur le buste.
En tenant compte de la fragilité du support, de la masse de la tête penché en avant, et de la cassure en pente, j’ai étudié les gestes, les méthodes et produits qui sont les moins invasifs possibles pour l’œuvre et surtout garantir la stabilité de la fixation.
Mes interventions en préservation, conservation et restauration.
L’expérience me permet de mesurer avec justesse le déroulement des étapes et les produits qui concordent avec l’équilibre chimique, physique, mécanique et esthétique de l’œuvre. Il s’agit de garder à L’Espiègle son histoire, ses qualités et trouver les solutions optimales pour la sauver.
Déroulement des tapes de conservation et restauration :
– Tests de solidité du support et des bords du cou.
– Etude préalable d’un support de maintient, soutient des deux éléments.
– Recherche des possibilités de fixation non invasive.
– Simulation des gestes d’ajustement de la tête sur son buste.
– Nettoyage neutralisation des bords à fixer et à réintégrer.
 
– Fixation par la réalisation d’une structure de consolidation interne légère, stable, réversible et solide placée à l’intérieur au niveau du cou.
– Collage de la tête sur le buste.
– Consolidation par injection à la seringue dans la fissure visible sur le buste.
– Enlèvement des anciennes traces de colle au scalpel et solution basique des anciennes restaurations visibles sur la feuille située sur la tête.
– Réintégration de la matière des éléments manquant : 11 feuilles à reconstituer suivant le style de l’artiste ainsi que les angles de la base du buste (qui ont également perdu de la matière).
– Réintégration colorée imitation de la couleur à l’identique. L’œil décrypte la palette composant les nuances multiples de la terre cuite pour retrouver les couleurs à ajuster sur les éléments réintégrés.
La patine d’origine de la terre cuite est de belle qualité et a été conservée volontairement car elle valide l’histoire et l’authenticité de l’œuvre. C’est pourquoi j’ai conseillé de ne pas nettoyer la surface de la terre cuite. Seules les couleurs à l’identique ont été réintégrées sur les éléments manquant afin de retrouver l’harmonie des nuances de la terre cuite.
Le résultat : l’œuvre est restituée avec la qualité de conservation nécessaire pour la transmission pour demain
– Les interventions de conservation et sauvegarde on été réalisées avec succès.
– La fixation de la tête sur le buste est pérenne.
– Les interventions de restauration sont invisibles et non invasives.
– La cassure au niveau de la tête est invisible.
– La fissure est consolidée et également invisible.
– Les éléments manquant tel que les feuilles ont été sculptés et réintégrés afin de donner l’illusion de ne jamais avoir été cassées ou absentes.
– Les couleurs à l’identique ont été réintégrées sur les éléments manquant afin de retrouver l’harmonie des nuances de la terre cuite.
Restauration terminée et invisible
Dès sa création en 1865, Carpeaux éditera l’Espiègle en terre cuite et en bronze. Un buste en plâtre est conservé dans les musées de Nice et Valenciennes, une terre cuite d’édition, marquée du cachet Propriété se trouve au Victoria & Albert muséum de Londres, et un bronze au musée du Petit Palais (inv.no. PPS1171). D’autres épreuves d’artiste en marbre sont répertoriés en 1871, le marbre sera édité par l’atelier de Carpeaux à partir de 1873 et par Susse en 1914. Le buste présenté à la vente lot 128 est la seule version connue en marbre datée de 1865. Il figura cent ans plus tard, en 1965, en même temps que les bustes de La Candeur, l’Espérance et le Printemps à l’exposition ‘Les jardins et les fleurs’ à la Galerie Charpentier à Paris. Par ailleurs, Les traits d’Anna Foucart ont servi à d’autres portraits réalisés par Carpeaux, tels la Rieuse Napolitaine et la Rieuse aux Roses (le plâtre original a été présenté chez Sotheby’s Paris en octobre 2011 sous lot 213 collection Fabius frères).
La sculpture dont j’ai pris soin date de 1875 (date inscrite dans la matière), la dernière année de la vie de l’artiste, et est probablement une de ses éditions ultimes. Grâce à mes interventions l’équilibre et l’harmonie du buste en terre cuite d’Anna Foucart sont retrouvés. Elle a également gagné de la valeur. Aujourd’hui, l’Espiègle a retrouvé la tête sur les épaules et regarde avec confiance son nouvel avenir.
Isabelle Pitre, Maître Artisan, A l’Atelier, 26 rue Traversière 75012 Paris
[© copyright Isabelle Pitre]
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