À vif : une joute oratoire et politique éblouissante au Rond-Point
À vif De Kery James Mise en scène de Jean-Pierre Baro Avec Kery James et Yannick Landrein Du 10 au 28 janvier 2017 Du mardi au samedi à 18h30, dimanche à 18h30 Tarifs : de 12 à 38 € Réservation en ligne Durée : 1h15 Théâtre du Rond-Point M° Franklin D. Roosevelt |
Du 10 au 28 janvier 2017
Dans la grande salle du Rond-Point, Jean-Michel Ribes a invité le rappeur Kery James avec le comédien Yannick Landrein pour une éblouissante joute oratoire où les deux avocats défendent tour à tour l’État ou la deuxième France face au malaise des banlieues. Sur un tempo d’enfer, les mots fusent comme du rap, croisant des images d’une jeunesse en feu et de politiques à la dérive, exprimant l’amour d’une population réunie autour d’une fraternité rêvée. Un moment formidable à découvrir d’urgence. L’État est-il responsable de la situation actuelle des banlieues ?La question est posée et projetée sur l’immense écran au-dessus de la table rectangulaire. C’est un brûlant terrain de jeu sur lequel deux protagonistes, adversaires en politique et virtuoses de la dialectique, vont s’affronter, micro fixé et face public, selon les règles du concours d’éloquence prisé par les jeunes avocats. Yann (Yannick Landrein) est un jeune bourgeois blanc, de gauche et imprégné d’une révolte humaniste. Pour lui, l’État est naturellement responsable de la situation dégradée des banlieues. Face à lui, Souleymaan (Kery James) est un avocat noir, qui pense au contraire que l’État ne peut pas être responsable de tout et que cette “deuxième France” constituée de Noirs et d’Arabes doit justement se prendre en main de manière responsable, sans accuser sans cesse l’État français d’incurie. Un brillant jeu de ping-pong verbal qui plonge au cœur de la violence Kery James est un auteur-compositeur-rappeur, qui, en 2001, a reçu un Disque d’Or pour son premier album solo Si c’était à refaire. Le dialogue qu’il écrit et qu’il joue, mis en scène par Jean-Pierre Baro, est une véritable dispute à couteaux tirés, puissante et souvent drôle, qui décortique précisément, avec des mots choisis comme des perles, les problématiques du malaise actuel. Dans sa harangue pour une responsabilisation collective des populations immigrées, pour une prise de conscience fraternelle des devoirs des jeunes, le rappeur est tout simplement magnifique, car cette vérité est tout aussi importante et juste que le discours de son adversaire, arguant du passé colonial français et de la main-d’œuvre à bon compte pour justifier l’immense responsabilité française vis-à-vis de ses protégés. Deux France que la politique va opposer en avril 2017 C’est pour s’opposer, justement, à cette guerre entre les deux France, celle d’en haut, blanche et nantie, et celle d’en bas, métissée et banlieusarde, pour refuser le mépris de l’une sur l’autre, que Kery James prend la parole. Ses mots, ses phrases, d’une poésie violente et pure, se transforment soudain en un rap déchirant, quand il parle d’éducation, d’école ou de fraternité, quand il raconte le déterminisme social, les tours de béton et la difficulté à résister à la tentation de l’argent facile. Mais la grande force du spectacle, c’est de mettre sans arrêt en perspective un discours, bien-pensant et culpabilisant, qui chargerait l’État de tous les maux, avec un autre propos, celui d’une liberté assumée, débarrassée des oripeaux de la victimisation perpétuelle. À la fin, c’est une immense Marianne qui vient réconcilier les deux discours, image d’une concorde retrouvée sur un poème grave et beau de l’auteur en honneur à la République. Quelle présence scénique et quels beaux textes ! Hélène Kuttner [Photos © Nathadread Pictures] |
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