Sublime Iphigénie par Véronique Gens à Garnier
Iphigénie en Tauride Avec Véronique Gens, Étienne Dupuis, Stanislas de Barbeyrac, Thomas Johannes Mayer, Adriana Gonzales, Emanuela Pascu, Tomasz Kumiega et Renate Jett (rôle muet) En alternance à 19h30, 14h30 ou 20h30 Tarifs : de 10 à 190 € Réservation en ligne Palais Garnier M° Opéra |
Jusqu’au 25 décembre 2016
Pour cette reprise d’une production qui avait beaucoup choqué en 2006, le metteur en scène Krzysztof Warlikowski retrouve son décor iconoclaste de maison de retraite pour vieilles dames chics en jouant sur le dédoublement des personnages mythologiques à l’époque actuelle. La toute nouvelle distribution permet d’admirer Véronique Gens en Iphigénie prodigieuse, Étienne Dupuis dans le rôle d’Oreste et Stanislas de Barbeyrac dans celui de Pylade. Sous la direction de Bertrand de Billy, un trio réjouissant. Un hospice en TaurideDerrière le rideau miroir qui reflète la somptueuse salle de l’Opéra Garnier, avec ses stucs, dorures et spectateurs sagement assis, de vieilles dames très dignes, perruquées et maquillées, comptent leurs allées et venues en traversant le plateau à la verticale, du fond à l’avant-scène. Défilé de mannequins, vieux et décatis, fantômes d’un autre temps, mémoires de toutes les histoires, conflits et guerres mondiales, qui viennent planter leur regard fixe dans nos yeux, accrochant la lumière blafarde des néons chirurgicaux sur leurs paupières noircies par le rimmel. De part et d’autre, une rangée de douches et de lavabos, marque de fabrique du metteur en scène avec sa scénographe Malgorzata Szczesniak, balise le champ de bataille entre des mythologies plus ou moins récentes, exacerbant les névroses, rêves et incestes avec un Oreste nu embrassant le sein de sa mère Clytemnestre. Iphigénie à tous les âges On ne peut pas dire que la mise en scène soit très gaie, ni que l’héroïne Iphigénie déborde de bonheur. Rêve ou cauchemar, l’opéra de Gluck est une tragédie (1779) dont la partition musicale splendide regorge d’émotion et de tristesse, de sentiments et d’amour contrarié, de passions blessées. Les récitatifs soutenus par l’orchestre, les chœurs vibrants, la ligne musicale du chant sont entièrement voués à l’action dramatique, propulsant les harmonies audacieuses au cœur de l’intrigue et des affects des personnages. C’est de toute beauté. Choisissant de concentrer l’objectif de sa mise en scène sur les trois personnages principaux, Iphigénie, Oreste, son frère, et Pylade, l’ami d’Oreste, le metteur en scène fait du coup disparaître les chœurs et les prêtresses, que l’on entend mais ne voit pas. C’est un peu dommage, car ces voix sont célestes. Iphigénie, d’abord âgée, en tailleur doré style Chanel, s’écroule sous un lavabo. Pour renaître ensuite à 20 ans, liane brune aux longs cheveux de jais, sorcière voluptueuse qui vient accueillir les étrangers condamnés à mort par le Roi Thoas, tricotant ses lamentations avec ses pleurs. Trio d’exception Dans le rôle-titre, la soprano française Véronique Gens sublime littéralement son personnage. Voix profonde et pure, aigus voluptueux, diction et musicalité parfaites, physique de madone italienne, c’est une véritable comédienne qui sait transmettre sa puissante sensibilité au service d’un rôle aussi complexe et d’une partition qu’elle affectionne sincèrement. Warlikowski la fait asseoir à l’avant-scène, face au public, les jambes au-dessus de la fosse d’orchestre, en robe de soie rouge écarlate, et ce moment nous bouleverse par la sobriété et le brio technique de la cantatrice. Le baryton canadien Étienne Dupuis, lunettes noires et col de chemise ensanglanté d’Oreste, ne dépareille pas. Son incarnation virile et fragile à la fois, la profondeur et les nuances musicales de son timbre harmonieux, puissant, s’accordent magnifiquement à la quête fraternelle de sa sœur Iphigénie. Stanislas de Barbeyrac, jeune ténor qui poursuit une carrière internationale et brillante, confère à Pylade une dimension vocale et une chaleur humaine tout à fait remarquables. À la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, Bertrand de Billy conduit l’ensemble avec une belle énergie et un respect pointilleux de la partition, qui exige des cordes virtuoses. Un régal musical. Hélène Kuttner [Photos © Guergana Damianova-ONP] |
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