Françoise Pétrovitch décline son univers à la fois ambigüe et inquiétant, peuplé de jeunes adolescents, héros d’un conte contemporain qui ne se terminerait pas si bien que ça! Et grande nouveauté, elle livre pour la première fois son travail de peintre, un volet sous le regard protecteur des grands maîtres de l’histoire de l’art.
Vous avez inauguré début juillet une triple exposition à Marseille (Frac PACA), Arles (Espace pour l’art, achevée le 6 août) et Tarascon (Centre d’art René d’Anjou). Quelle est la genèse de ce projet sur trois lieux ?
Après avoir exposé avec Pascal Neveux en 2005 – alors qu’il était directeur du Frac Alsace à Sélestat –, il m’a invité presque 10 ans après à présenter mon travail cette fois-ci au Frac PACA. Il n’était pas question d’une redite cependant, d’autant que mon travail a beaucoup bougé depuis. Lorsqu’il m’a proposé cette nouvelle intervention en 2013, je venais de participer à une exposition collective au château de Tarascon, Centre d’arts René d’Anjou. Le directeur avait envie qu’on retravaille ensemble, et donc cela s’est fait un peu naturellement.
Est-ce qu’il y a eu un thème imposé ? Une réflexion commune ?
Non, c’était à moi d’initier le projet sur les trois lieux, à partir de discussions individuelles avec les trois commissaires. Je voulais montrer au Frac essentiellement de la peinture – avec certes, des dessins et de la vidéo –, que je travaille de manière très régulière depuis des années mais que j’ai peu montrée jusqu’à présent.
Pourquoi ?
On me demande souvent des dessins, et il faut dire aussi que je me sentais plus fragile en peinture. Mais aujourd’hui, je me sens capable de la montrer. À Tarascon, nous sommes dans un lieu à part, un château du XVe siècle, très minéral et dense. Je voulais y présenter quelques œuvres produites spécifiquement, dont une tapisserie, technique que j’aborde pour la première fois d’ailleurs.
Pour chaque espace, il ne s’agit pas bien de trois propositions différentes avec des titres propres : « S’absenter au Frac », « Verdures » à Tarascon et « Iles » à Arles (où étaient accrochés de grands dessins et une petite sculpture, un choix plus radical).
Est-ce qu’il y a une narration entre les différents lieux ?
Je ne l’ai pas du tout construit comme cela, même si je pense que les visiteurs pourront construire un récit.
Comme j’ai un travail d’atelier quotidien, je pense que les expositions sont également là pour montrer le travail, pas uniquement pour produire de nouvelles pièces spécifiques. Inverser cette tendance où on est illustrateur d’une pensée, d’un contexte, d’un propos.
Il y a une très grande présence de la couleur dans vos œuvres et pourtant, vous dites que vous ne vous êtes jamais pensée comme une coloriste ?
Je me suis toujours sentie appartenir au monde du dessin : je pratique la gravure, (un art du noir et blanc), j’enseigne à l’Ecole Estienne l’art du livre, on travaille la typographie, le texte, l’image en noir et blanc souvent… Aujourd’hui, je me rends compte que je pense les couleurs en valeurs : un sombre, un clair… les blancs forts vont donner la lumière, un vert et un gris peuvent s’unir parce qu’ils sont de la même valeur, et c’est ce qui m’intéresse.
Quelle complémentarité trouvez-vous entre le dessin, la sculpture et la peinture? Comment tout cela s’articule-t-il ?
D’abord, il y a des projets que je pense immédiatement en sculpture, avec comme point de départ un petit croquis. Ensuite, j’ai essayé de ne pas transposer le dessin en peinture, ce qui a été très dur au début car je ne retrouvais pas ce qui m’était propre et il a fallu que je trouve une autre liberté. J’essaye de bouleverser ce qui est de l’ordre du savoir-faire .
Vous questionnez les sujets également ?
Oui. Il y a une historicité de la peinture avec les grands genres : le portrait, le paysage, la nature morte… Or, il n’y a pas cette contrainte dans le dessin qui est plus intime. Un certain nombre de choses annexes relevant du dessin ne seront jamais peintes.
Vous cherchez à revisiter l’histoire de l’art ?
Lorsque je dessine, je ne regarde presque jamais l’histoire de l’art. Lorsque je peins, j’ai en mémoire toute la peinture que j’ai vue dans les musées, dans les livres… Il y a la contemplation et la permanence de la peinture.
Est-ce que le rapport au marché de l’art a été une pression sur votre production? Par rapport à une attente des collectionneurs, des galeristes…
Je n’en ai pas trop fait cas. Je sais que certaines séries de dessins, comme les poupées, se vendaient mieux que d’autres, mais si je sens que je m’épuise, que j’ai un peu trop de facilités ou que je ne suis plus en difficulté ni en tension lorsque je dessine, je n’ai plus envie d’avancer dans cette direction.
Vous avez changé de galerie il y a eu, arrêtant votre collaboration avec RX pour la galerie Sémiose. Est-ce qu’il faut entendre la présentation de la peinture comme une demande du galeriste ?
Non, pas du tout. Les galeristes m’accompagnent mais ne me disent pas quoi faire.
Il n’y pas de demandes. Il y a des discussions, des analyses autour du travail en train de se faire, ça oui.
Qu’est-ce que vous ne supportez pas qu’on écrive sur votre travail ?
Que c’est un travail de femme et que c’est séduisant… En disant cela, on me range dans une case sans appréhender l’ensemble de mon travail.
Quels sont vos projets à venir ?
Ils sont nombreux : un projet de sculpture en bronze est en cours pour le Centre d’art de Campredon à l’Isle-sur-la-Sorgue – j’ai vraiment envie de développer ce type de sculptures monumentales en extérieur –, deux expositions en Russie, une en Suisse, la commande d’une estampe pour la ville de Lorient, des expositions collectives en centre d’art, un projet avec les Nouveaux Commanditaires pour ATDQuart Monde à côté du Louvre Lens. Il y a un enjeu moral et une responsabilité dans ce type de projet qui m’intéresse beaucoup.
[Photos : vues des expositions de Françoise Pétrovitch au Frac PACA et au château de Tarascon. © Françoise Pétrovitch]
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