Camus/Gallotta, tout sauf étrangers
L’Étranger De Jean-Claude Gallotta Avec Ximena Figueroa, Thierry Verger et Béatrice Warrand Du 23 février au 5 mars 2016 Tarifs : de 10 à 30 € Réservation Durée : 1h Théâtre des Abbesses M° Abbesses |
En adaptant L’Étranger, Jean-Claude Gallotta confirme à quel point il aime le rock ! Il vient de convoquer Presley, Dylan, Cohen et autres Beatles ou Clash dans My Rock, et voilà que les guitares du groupe Strigall retentissent dans une étreinte passionnelle de L’Étranger d’Albert Camus. Pour la première fois, Gallotta part d’une œuvre littéraire et se révèle maître à danser entre les lignes ! Un fil très intime lie la danse aux extraits du roman et du film qu’en tira Luchino Visconti, morceaux choisis qui ponctuent cette relecture de L’Étranger, ardente traversée du récit de Meursault. Si le personnage du roman (à défaut d’être un “héros”) reste étranger à sa propre existence, la danse, elle, renoue ce lien entre l’être et l’instant vécu. L’Étranger n’est pas tombé entre les mains du chorégraphe par hasard. Si Camus construit son récit à partir du décès de la mère de Meursault, Gallotta s’est vu à son tour atteint par ce trouble que peut déclencher la disparition d’un repère aussi fondamental. Le décès de sa propre mère l’a confronté à son histoire familiale : “J’ai retrouvé des archives qui concernaient la vie de mes parents en Algérie, la jeunesse de ma mère à Oran. J’ai repensé au livre de Camus…”, confie-t-il à l’écrivain Claude-Henri Buffard.
[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=kkHg9JnNsbw[/embedyt] Aussi la danse conserve-t-elle toujours un lien organique avec les ambiances du roman et du film. Pas d’illustration anecdotique, mais des mouvements de l’âme, exprimés par le corps, pour dire les désirs, les attentes, les intentions poétiques de l’auteur ou encore les phantasmes des personnages. Désirs d’amour et d’ébats, espérance paradoxale face à la mort… Ximena Figueroa, Thierry Verger et Béatrice Warrand se chargent de sensations de la tête aux pieds, et ce, dans chaque geste. À la fin, ils saluent un public qui est ému comme rarement. Mais cette émotion est profonde, et non débordante. Le paradoxe existentialiste opère à travers la danse, dans un état de suspension physique et poétique, où les danseurs incarnent l’empathie du lecteur, son imaginaire et ses sensations physiques. La “douce indifférence du monde“, sur laquelle Meursault conclut ses réflexions, se trouve juste sous leurs pieds, scellée dans le tapis de danse. Il suffit d’en faire son appui pour rebondir. Les trois interprètes sont les danseurs principaux de la compagnie de Gallotta, ce fameux Groupe Émile Dubois créé par Gallotta à Grenoble en 1979, sans lequel la danse contemporaine ne serait pas ce qu’elle a réussi à représenter. Tels des échos aux mots et aux images de L’Étranger, ils se lancent corps et âme dans une partition aussi précise, directe et chargée que l’écriture de Camus. Et des musiques algériennes se mêlent au rock. Au premier tableau, les bras écartés de Meursault et des deux femmes, dans leur soif de chaleur et de soleil, s’ouvrent à la vie dans des rebonds et des portés d’une subtile vitalité. À la fin, Meursault les ouvre de nouveau, face aux deux anges de la mort qui le soutiennent et l’emportent dans un rituel de passage plein de douceur. Thomas Hahn [Photos © Jean-Pierre Clatot AFP / Guy Delahaye] |
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