Christian Bénédetti : « Jouer Tchekov, c’est aller d’une pause à l’autre »
La Cerisaie De Anton Tchekhov Mise en scène de Christian Benedetti Du 20 janvier au 14 février 2016 Tarifs : de 10€ à 25€ Réservation en ligne Durée : 1h30 Théâtre du Soleil |
Jusqu’au 14 février 2016 « C’est une maison bleue, adossée à la colline », propriété de Lioubov Andreevna, Ranevskaïa (Brigitte Barilley) qui vit là en mère choyée par ses proches, entourée d’amis, de domestiques. On se demande si elle saura la conserver ou se résoudre à la vendre pour cause de manque de ressources ainsi que le suggère Iermolaï Alexeevitch, Lopakhine (Christian Benedetti.) Ce texte de Tchékov, à priori dramatique, écrit au début du 20e siècle, est une pièce comique indiquait l’auteur.On raconte qu’il regrettait que Stanislavski l’ait faite jouer de façon dramatique. Pour les mettre d’accord, Christian Benedetti à choisi la voie médiane : l’humour et la gravité. Les thèmes de cette pièce tournent autour du chagrin, celui du mal à quitter son siècle, nous dit Christian Benedetti « C’est un vaudeville, une comédie sur le chagrin, explique le metteur en scène. Il a fallu retrouver le rythme propre aux vaudevilles. Ici le sujet est grave, il impose de jouer en temps réel. Pour vous donner une idée, il y a un acte qui doit se jouer en ¼ d’heure. On réinvente du temps dans une situation extrême. » Christian Benedetti précise : « Ces silences ne sont pas des silences, ce sont des pauses (sic !) indiquées par Tchékov. Pour moi, c’est comme dans une partition musicale, c’est en suspens, rien ne s’arrête. Jouer Tchekov, c’est aller d’une pause à l’autre. Il y a tellement à dire qu’il faut réinventer une parole interrompue par un temps alors que le théâtre nous dit que c’est le temps qui est interrompu par la parole. La pause, ce terme musical, est un important mélange au temps dramaturgique et c’est le temps réel, ce temps réel qu’il faut s’obliger à réinventer grâce à sa structure ». Ceux qui ont lu le texte de Tchékov en connaissent toute l’histoire, et savent par évidence que cette grande maison, la Cerisaie, sera vendue. Cependant, le talent de Benedetti fait le reste et sa force est de leur laisser longtemps croire que la maison pourrait être sauvée au dernier moment. Dans sa direction d’acteurs, où il y en a pour tout le monde, Benedetti refuse comme à son habitude de tirer la couverture à lui malgré le grand froid qui parfois ose frapper à la porte de la Cartoucherie en plein bois de Vincennes. Brigitte Barilley, dans sa remarquable et sensible interprétation d’une mère excessive, fantasque et imprévisible, insouciante, frivole et dépensière, se riant de tout sauf de la mort peut-être, nous offre à voir une comédienne à la personnalité éclatante. Dans son jeu en finesse, la comédienne laisse percer le caractère d’une femme autonome et aimante. Jean-Pierre Moulin est Firs, très vieux domestique de la maison qu’il n’a jamais quittée et qu’il ne quittera pas. Il est tout en finesse, il joue l’hésitante fragilité des vieillards qui la ramènent quand on ne s’y attend pas. Un jeune homme effronté lui crie dans sa révolte générationnelle :« Qu’est ce que t’attend pour mourir ? ». Lui, le sage, l’ancien, grommelle en mesurant le temps d’avant, celui d’avant la liberté (la Révolution !). Tel le sphinx de cette Cerisaie où chacun s’agite, son pas trébuchant pondère cette fourmilière familiale, tandis que lui, formidable comédien, ni n’hésite ni trébuche et occupe le plateau avec une exceptionnelle densité. « Mon personnage a 87 ans alors que je n’en ai que 82, fanfaronne-t-il en riant !» De Christian Benedetti, il loue la rigueur dans le travail :« Il m’a appris à me débarrasser de toutes mes vieilles habitudes prises avec les grands metteurs en scène pour lesquels j’ai joué. J’admire son exigence, » Ce à quoi lui répond Benedetti : « Je dois resté attentif à la logique de l’auteur en respectant la structure de ce récit théâtral qui ne souffre pas d’à-peu-près. D’où ma rigueur…» Sans pouvoir les citer chacun dans leur belle expression, les comédiennes et comédiens* de cette Cerisaie nous offrent un bon et dense théâtre. Ils se crée entre eux et l’utilisation e l’espace scénique eu-delà du plateau, un effet réellement cinématographique. Dans la mise en scène de Benedetti, le cinéma transparaît en effet : utilisation à l’extrême du plateau, plans d’ensemble, plans rapprochés, gros plans, entrées et sorties par de grandes allées qui mènent vers une improbable gare d’où viennent et où refluent ces ombres du passé. « En fait, ajoute Benedetti, Tchekov avait la qualité d’un cinéaste. Du reste, sa pièce date de 1895, or la même année – le saviez-vous ? – les frères Lumière inventent le cinématographe ! Quant à l’espace, c’est l’espace lui-même qui décide. Il est le cadre du tableau, c’est celui dont on peut disposer et qui oblige à inventer. C’est la structure dramatique ». L’Integrale Tchekhov : le Projet Tchekhov Le Théâtre Studio à Alfortville devrait recevoir l’intégrale des pièces de Thchékov, un défi formidable de Christian Bénédetti. En 2015, dans la continuité du Projet Tchekhov, C. Benedetti avait créé La Cerisaie d’Anton Tchekhov au Théâtre de la Renaissance d’Oullins dans le cadre des Nuits de Fourvière, Ce quatrième volet rejoint le projet de Christian Benedetti de monter l’intégralité de l’œuvre dramatique de Tchekov avec le Théâtre-Studio. « C’est permettre au spectateur, nous dit-il, d’appréhender sa globalité. Cette structure à travers les différentes pièces met à jour une pensée en mouvement, une dramaturgie cachée et sensible au-delà des mots. C’est proposer avec chaque pièce un axe nouveau de questionnement pour tenter de répondre à cette question lancinante de toute l’œuvre de Tchékov : Qu’est-ce que le contemporain ? » *Pour savoir plus , la distrib’ : Lioubov Andreevna, Ranevskaïa – Brigitte Barilley Boris Borissovitch, Simeonov Pichtchik – Jean-Claude Bolle-Reddat Lumière Dominique Fortin – Régie générale Cyril Chardonnet Patrick DuCome |
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