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Luc Bondy : “Le théâtre n’est pas un moyen mais une fin.”

15 décembre 2015
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Luc Bondy

Luc_Bondy_copiePeter Stein voyait en lui une “sorte d’oiseau de paradis du théâtre allemand avec des plumes aux couleurs françaises”. Dramaturge de talent, directeur du Théâtre de l’Odéon, Luc Bondy nous a quittés. Retour sur le parcours de cet oiseau rare, aussi cosmopolite qu’éclectique.

Luc Bondy voit le jour le 18 juillet 1948 à Zurich et baigne dès son plus jeune âge dans une culture européenne et cosmopolite. Fils de journaliste, petit-fils du directeur du théâtre de Prague, sa famille juive a fui l’Allemagne nazie. L’enfant suit une scolarité en France, et se forme à l’art dramatique auprès de Jacques Lecoq et à l’Université Internationale de Théâtre. Décidé à se consacrer à la mise en scène, il gagne l’Allemagne et débute à 21 ans en tant qu’assistant au Thalia Theater de Hamburg.

Deux ans plus tard l’artiste en herbe signe sa première mise en scène à Göttingen : Le Fou et la Nonne de Witkiewicz. Suivent plusieurs mises en scènes de Goethe, Shakespeare, Genet, Ionesco ou encore Edward Bond. À la Städtische Bühne de Francfort, le Théâtre municipal, sa mise en scène du Triomphe de l’amour de Marivaux rencontre un succès retentissant. Les spectacles Yvonne, princesse de Bourgogne de Witold Gombrowicz (1981), Oh les beaux jours de Beckett (1981) et Macbeth de Shakespeare (1982) sont montés à Cologne. Le jeune talent suscite bientôt l’intérêt des plus grands dont Klaus-Michaël Gruber ou Peter Stein qui voit en lui une « sorte d’oiseau de paradis du théâtre allemand avec des plumes aux couleurs françaises ». Il lui succèdera en 1985, à la tête de la Schaubühne de Berlin. En 1994, le dramaturge est élu membre de l’Académie des Arts de Berlin.

L’artiste étend bientôt sa reconnaissance au niveau européen et arpente avec un même succès les scènes françaises ou belges. Dans l’Hexagone, il est révélé par Patrice Chéreau, en 1984, avec la création de Terre Étrangère de Schnitzler, au Théâtre des Amandiers. Le spectacle aborde le thème de l’adultère et choque. D’une insatiable curiosité , Luc Bondy explore les textes européens comme et monte notamment La Mortification (1982), d’après le romancier autrichien Frantz Nabl, et son adaptation de Terre étrangère (1987). Alors qu’il se produit régulièrement dans les Théâtres du Rond Point, de Nanterre ou des Bouffes du Nord, l’artiste est nommé directeur du théâtre de l’Odéon en 2012 par le ministre de la culture François Mitterrand. Sa succession à Olivier Py génère polémiques et protestations.

Proche d’auteurs allemands dont il s’inspire tels Botho Strauss et Peter Handke, Luc Bondy se tient à l’écart du théâtre politique, du brechtisme et de toute tentative de démonstration ou de pédagogie. Refusant l’excès de théâtralité, le culte de l’illusion, mais aussi le naturel, le dramaturge œuvre dans la sphère de l’intime mais évite tout intimisme. Le metteur en scène s’intéresse à la manière dont la psychologie, l’inconscient travaillent les corps et les attitudes.

Éclectique, Luc Bondy se passionne également pour l’opéra et le cinéma. Il triomphe sur la scène lyrique et met en scène Alan Berg, Puccini, Mozart ou Strauss. De 2002 à 2013, il dirige le festival de Vienne en Autriche. Il s’essaye au septième art, et réalise trois films, influencé par l’univers de Lubitsch ou d’Ophüls.

Le 28 novembre 2015, Luc Bondy, qui fut confronté toute sa vie à la maladie, s’éteint à l’âge de 67 ans. Inhumé au cimetière du Père Lachaise, sa disparition brutale ouvre un grand vide qui ébranle le milieu du spectacle et de la culture.

Citations

« Je suis profondément éclectique. Tout m’inspire. Comme un acteur, je me laisse imprégner sans chercher à me définir par rapport à quelqu’un d’autre. Le théâtre, après tout, c’est juste un métier où l’on joue. Et tout y joue. C’est un mélange permanent de gens, de mots, de choses hétéroclites. » Interview de Télérama, recueillie par Fabienne Pascaud, 8 septembre 2012

« Je ne suis pas du tout brechtien, j’ai horreur de la “distanciation” du jeu, des comédiens qui démontrent leur rôle plus qu’ils ne l’incarnent. Mais j’ai horreur, aussi, des comédiens qui croient dur comme fer au personnage, qui “entrent dans sa peau”, comme s’il existait des personnalités fermées qui n’évoluaient pas au cours de la pièce ! »  Interview de Télérama, recueillie par Fabienne Pascaud, 8 septembre 2012

« À quoi sert-il ? À rien. À se laisser raconter par d’autres… Je ne fais pas de théâtre pour dire quelque chose, politique ou autre. Le théâtre n’est pas un moyen mais une fin. Traquer la vie. Et ce qui n’a pas de vrai but est essentiel : ça équilibre l’esprit. » Interview de Télérama, recueillie par Fabienne Pascaud, 8 septembre 2012

Bibliographie sélective

Théâtre

1971 : Les Bonnes de Jean Genet, Fabrik Hambourg
1973 : Comme il vous plaira de William Shakespeare, Wuppertaler Bühnen Wuppertal
1973 : Stella de Goethe, Staatstheater Darmstadt
1973 : La Mer d’Edward Bond, Resindenztheater Munich
1974 : La Foi, la charité, l’espérance d’Ödön von Horváth, Deutsches Schauspielhaus Hambourg
1975 : Le Triomphe de l’amour de Marivaux, Städtische Bühnen Francfort
1975 : Le Mariage du pape d’Edward Bond, Städtische Bühnen Francfort
1976 : La Wupper d’Else Lasker-Schüler, Schaubühne am Halleschen Ufer Berlin
1977 : On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset, Schaubühne am Halleschen Ufer Berlin
1977 : Les Revenants d’Henrik Ibsen, Deutsches Schauspielhaus Hambourg
1978 : Platonov d’Anton Tchekhov, Freie Volksbühne Berlin
1981 : Yvonne, princesse de Bourgogne de Witold Gombrowicz, Bühnen der Stadt Cologne
1981 : Oh les beaux jours de Samuel Beckett, Bühnen der Stadt Cologne
1982 : Macbeth de William Shakespeare, Bühnen der Stadt Cologne
1982 : Kalldewey, Farce de Botho Strauss, Schaubühne am Lehniner Platz Berlin
1984 : Terre étrangère d’Arthur Schnitzler, Théâtre des Amandiers
1986 : La Guide de Botho Strauss, Schaubühne am Lehniner Platz Berlin
1987 : Le Misanthrope de Molière, Schaubühne am Lehniner Platz Berlin
1989 : Le Temps et la chambre de Botho Strauss, Schaubühne am Lehniner Platz Berlin
1989 : Le Chemin solitaire d’Arthur Schnitzler, Théâtre du Rond-Point
1990 : Le Conte d’hiver de William Shakespeare, Schaubühne am Lehniner Platz Berlin
1992 : Chœur final de Botho Strauss, Schaubühne am Lehniner Platz Berlin
1992 : Salomé de Richard Strauss, Salzbourg, Florence, Londres, Paris
1993 : John Gabriel Borkman d’Henrik Ibsen, Théâtre Vidy-Lausanne, Odéon-Théâtre de l’Europe
1993 : L’Équilibre de Botho Strauss, Festival de Salzbourg
1994 : L’heure où nous ne savions rien l’un de l’autre de Peter Handke, Schaubühne am Lehniner Platz Berlin, Théâtre du Châtelet
1996 : Jouer avec le feu d’August Strindberg, Théâtre des Bouffes du Nord, Théâtre Vidy-Lausanne
1996 : Don Carlos de Giuseppe Verdi, Théâtre du Châtelet
1998 : Phèdre de Jean Racine, Théâtre Vidy-Lausanne, Odéon-Théâtre de l’Europe
1999 : En attendant Godot de Samuel Beckett, Théâtre Vidy-Lausanne, Odéon-Théâtre de l’Europe
1999 : Macbeth de Giuseppe Verdi, Édimbourg, Vienne
2000 : La Mouette d’Anton Tchekhov, Vienne
2000 : Trois Vies de Yasmina Reza, Akademietheater de Vienne
2002 : Auf dem Land d’après La Campagne de Martin Crimp, Schauspielhaus Théâtre de la Colline
2002 : Anatol d’Arthur Schnitzler, Burgtheater de Vienne
2004 : Une pièce espagnole de Yasmina Reza, Théâtre de la Madeleine
2004 : Cruel and Tender de Martin Crimp, Théâtre des Bouffes du Nord
2004 : Hercules de Georg Friedrich Haendel, Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence, Vienne
2005 : Viol de Botho Strauss, Odéon-Théâtre de l’Europe
2010 : Sweet Nothings d’après Arthur Schnitzler, texte David Harrower, Young Vic Theater Londres
2010 : Les Chaises d’Eugène Ionesco, Théâtre Nanterre-Amandiers
2012 : Le Retour d’Harold Pinter au Théâtre de l’Odéon
2014 : Les Fausses confidences de Marivaux, au Théâtre de l’Odéon, Théâtre des Célestins
2014 : Charlotte Salomon de Barbara Honigmann (livret) et Marc-André Dalbavie (musique) au festival de Salzbourg
2014 : Le Tartuffe de Molière, Théâtre de l’Odéon
2015 : Ivanov d’Anton Tchekhov, Théâtre de l’Odéon

Opéra

1977 : Lulu opéra d’Alban Berg, Staatsoper Hambourg
1981 : Wozzeck opéra d’Alban Berg, Staatsoper Hambourg
2009 : Tosca opéra de Giacomo Puccini d’après la pièce de Victorien Sardou, Metropolitan Opera
1995 : Les Noces de Figaro de Mozart, Festival de Salzbourg
1990 : Don Giovanni de Mozart, Wiener Staatsoper Vienne
1992 : Salomé de Richard Strauss, Salzbourg, Florence, Londres, Paris

 Jeanne Rolland

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