L’Odyssée d’un héros des glaces
La Glace et le Ciel De Luc Jacquet Avec Claude Lorius, Michel Papineschi Durée : 89 minutes Sortie le 21 octobre 2015 |
Luc Jacquet retrace l’odyssée de Claude Lorius, glaciologue passionné et passionnant, pionnier qui fut l’un des premiers à alerter l’opinion sur le danger des changements climatiques dus à la pollution. Un film important servi par de superbes images et un discours très pédagogique, auquel on pourra cependant reprocher de ne finalement s’adresser qu’à ceux qui sont déjà convaincus. « Je m’appelle Claude Lorius et j’aurai 23 ans pour toujours… » L’affirmation revient plusieurs fois, comme un refrain, dans le nouveau film de Luc Jacquet, La Glace et le Ciel. Un film à la fois militant et conçu comme un hommage à un héros des temps modernes, présenté comme l’un des derniers grands explorateurs, aujourd’hui « vieil homme qui constate tristement que l’Histoire lui a donné raison. » Tout sera donc raconté du point de vue de Claude Lorius. Une vie de recherches et de passion, qui commence un jour de 1956, alors que le jeune étudiant de 23 ans s’embarque pour l’Antarctique, où il va participer à une mission scientifique, destinée à « de jeunes hommes en bonne condition physique, avec de préférence un certain goût pour l’aventure. » L’aventure, c’est une sorte de terrier sous les glaces du cercle polaire, partagé avec deux autres chercheurs pendant un an. Un an d’expériences, d’isolement dans ce vaste continent, inconnu, hostile et blanc, où par -25°C, on célèbre la canicule. Pour l’atteindre, il aura fallu traverser Tahiti, les îles chaudes et accueillantes du Pacifique et résister à leurs attraits, tel Ulysse résistant au chant des sirènes, pour aller s’enfermer à l’écart du monde, dans l’extrême Sud, là où le métal d’objets mal conçus par des humains bien au chaud colle aux doigts tant il fait froid. Pourtant, le jeune Claude Lorius revient enchanté de sa première expédition. Il décide de se spécialiser en glaciologie et mène sa thèse sur l’Antarctique en rêvant d’y retourner. Ce sera chose faite dès 1959. Et alors que le monde vit la révolution sociale des années 60, le jeune scientifique, lui, est de plus en plus fasciné par l’Antarctique. D’un voyage à l’autre, au fil des relevés et des analyses, il élabore de brillantes machines permettant de forer les glaces pour leur faire raconter l’histoire de la Terre, et découvre avec horreur que ce terrain quasiment jamais profané par le pied de l’Homme porte en réalité les stigmates de toutes les folies humaines ; la marque d’Hiroshima et Nagasaki, ainsi que de tous les essais nucléaires qui les ont suivis ; la trace des pollutions aux hydrocarbures et toutes les peines infligées par l’ère industrielle à notre planète. Dès lors, comme Cassandre, Claude Lorius tente d’alerter l’opinion publique sur le désastre écologique que risque de provoquer cette pollution si le mouvement n’est pas très vite enrayé. Il prophétise les catastrophes climatiques dont nous subissons désormais les conséquences. Mais comme Cassandre, il n’est pas cru… Ce récit à la première personne est la force et la faiblesse du film. Sa force, parce qu’il lui donne une forme très pédagogique. Celle du conte ou du mythe, Lorius étant alors le héros-conquérant d’un horizon lointain. Un univers d’autant plus fabuleux que la caméra de Luc Jacquet le magnifie, filmant au plus près de la glace, plaçant Lorius au centre de paysages indicibles baignés d’aurores australes ; reconstituant les moindres flocons ; expliquant des notions complexes comme le procédé de datation de la glace grâce à des images parlantes comme les bulles d’air montant dans un verre de wiskhy et usant de métaphores visuelles incroyablement poétiques. Mais c’est aussi sa faiblesse car nous narrant ainsi l’odyssée personnelle d’un homme à qui il voue une admiration compréhensible, Luc Jacquet oublie, ou du moins élude, la démonstration de sa thèse. Les recherches n’étant qu’évoquées, et seulement du point de vue de Claude Lorius lui-même, il semble douteux que le film puisse convaincre un éventuel climatosceptique du bien fondé de son propos. On peut alors regretter que ce très beau film de convictions ne s’adresse finalement qu’à des personnes déjà convaincues par son discours. D’autant plus que La Glace et le Ciel s’achève sur une adresse directe aux spectateurs qui semble témoigner d’une vraie volonté d’interpeller. Le mélange d’images d’archives et de plans superbes de Claude Lorius contemplant le merveilleux continent qu’il a bravé et qu’il voit fondre avec tristesse, va dans le sens de cette démarche et appuie intelligemment le propos du film : à savoir renvoyer chacun à se propre responsabilité, face à un désastre écologique dont on nous montre l’imminence. Au crédit du film, il faut encore porter le choix de l’interactivité qui prouve une réelle prise de conscience des enjeux et des mécanismes contemporains ; le film de Luc Jacquet n’étant présenté que comme l’une des composantes d’une démarche plus globale d’alerte de l’opinion publique concernant l’enjeu climatique, comprenant aussi un film de télévision et un site internet, détaillant les projets, proposant de suivre une prochaine expédition et distribuant des outils pédagogiques pour débattre du sujet. Raphaëlle Chargois [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=maLCce3dF2U[/embedyt] [Crédits Photo : 1. © 2015 Eskwad_WildTouch 2. © 2015 Eskwad_Wild Touch Marc Perrey 3. © 2015 Luc Jacquet 4. © 2015 Marc Perrey 5. © 2015 Eskwad Wild Touch Cnrs Fonds Claude Lorius 6. ©2015 Sarah Del Ben.] |
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