Keersmaeker fait battre le cœur de la musique à Garnier
Anne Teresa de Keersmaeker Avec les Étoiles, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet de l’Opéra de Paris Direction musicale : Vello Pähn Jusqu’au 8 novembre à 19h30 Tarifs : de 10 à 110 € Réservation en ligne Durée : 1h45 Palais Garnier M° Opéra |
Bartok, Beethoven, Schönberg entrent au répertoire de l’Opéra de Paris par la grande porte, chorégraphiés par l’une des artistes les plus créatives de la danse contemporaine. La Flamande Anne Teresa de Keersmaeker présente trois œuvres de jeunesse qui constituent le cœur de sa production ultérieure. Rigueur de la gestuelle et déflagration des corps racontent une recherche toujours passionnante. C’est la partition musicale avant tout qui guide le travail de la chorégraphe et particulièrement le répertoire du XXe siècle. Le Quatuor à cordes n°4 de Bela Bartok, avec ses dissonances et ses ruptures mélodiques qui tanguent entre recherches formelles et folklore balkanique, est tout sauf un objet musical destiné à la danse. Pourtant, une fois les musiciens installés en fond de scène, les quatre jeunes filles virevoltent et jouent du talon de leurs bottines en faisant tournoyer de plus en plus vivement leur jupe : on assiste à un véritable déshabillage des corps qui jouent de leurs vêtements avec une insolence mutine. Il y a, dans cette pièce dansée sur une musique extrêmement sérieuse et provocante pour les oreilles, une fantaisie et une effronterie perverse de la part de jeunes danseuses qui nous entraînent, d’un coup de fesse ou d’un coup d’épaule, déhanchées en faisant claquer leurs talons, dans un vertige acrobatique et une ivresse totale. Jeunesse provocante et regards lascifs, ces créatures du diable semblent incarner le fantasme d’une rébellion qui colle aux dissonances et aux syncopes de Bartok.
À l’innocence perverse des piquantes ingénues chez Bartok répond la fougue nerveuse des projections à l’horizontale pour la Grande fugue de Beethoven. Les corps masculins sont projetés, comme arrachés du sol par une onde électrique qui épouse les contrepoints de la partition virile de Beethoven. Les danseurs étoiles en costume sombre rivalisent de brio face à la belle Alice Renavand, costumée avec la même géométrie sombre que ses camarades hommes. Spirales, chutes, jaillissement des énergies pour échapper à la pesanteur du sol, le vocabulaire chorégraphique colle ici à chacune des notes de la partition électrisée par les cordes des violons qui dialoguent en parallèle sur des thèmes mélodiques. L’exigence musicale et gestuelle est extrême car elle joue sur les déséquilibres dans l’espace et la densité masculine des mouvements. D’un romantisme assumé, La Nuit transfigurée est une œuvre de jeunesse de Schönberg. L’orchestration y est somptueuse et distille par des harmoniques subtiles les émotions amoureuses d’une élégie sur un poème de Richard Dehmel. Dans une superbe scénographie de Gilles Aillaud, trois couples vont se fuir, se supplier, se retrouver autour d’un désir, d’un aveu, d’un enfant. L’héroïne est dédoublée, comme le héros de l’histoire. Les postures sont celles des sculptures de Rodin, d’une grâce et d’un tragique infinis. Hommes et femmes ont un vocabulaire chorégraphique distinct, mais ils se trouvent réunis à la fin. La danseuse étoile Marie-Agnès Gillot envoûte le plateau par sa présence énigmatique et inspirée, tandis qu’Émilie Cozette incarne son double solaire. La musique ici, dirigée excellemment par Vello Pähn, transmet ses ondes magnétiques à des danseurs de l’Opéra habités. Un bijou. Hélène Kuttner [Photos © Agathe Poupeney] |
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