Maria Braun ou le mariage d’amour entre Fassbinder et Ostermeier
Le Mariage de Maria Braun De Rainer Werner Fassbinder Mise en scène de Thomas Ostermeier Avec Thomas Bading, Robert Beyer,Moritz Gottwald, Ursina Iardi et Sebastian Schwarz Jusqu’au 3 juillet 2015 Tarifs : 26 € et 35 € Réservation en ligne Durée : 1h45 Théâtre de la Ville M° Châtelet |
Jusqu’au 3 juillet 2015
Le metteur en scène allemand et chouchou des scènes françaises Thomas Ostermeier reprend le scénario du film de son compatriote Rainer Werner Fassbinder Le Mariage de Maria Braun tourné en 1979. Quatre comédiens au talent formidable interprètent tous les personnages dans cette Allemagne en phase de reconstruction, après guerre, autour de l’héroïne jouée par Ursina Lardi. Une réussite. Une femme dans l’Histoire Thomas Ostermeier, né en 1968 en Bavière, et Rainer Fassbinder (1945-1982) ont au moins un point commun, excepté la nationalité, c’est leur attachement aux femmes qui font l’Histoire. Avec “Nora”, “Hedda Gabler” et “La Vipère”, Maria Braun s’érige en héroïne politiquement incorrecte qui va décider de sa vie et de ses actes au nez et à la barbe du reste du monde. Fassbinder fait évoluer sa Maria qui porte le même nom qu’Eva Braun, la maîtresse d’Hitler, à la toute fin de la guerre, alors qu’elle se marie sous les bombardements des alliés. À peine savourée leur nuit de noces, Herman doit repartir sur le front Est où on apprend qu’il se fait tuer. Jusqu’au jour où le mari tué au front réapparaît au logis familial et surprend sa femme Maria dans les bras d’un soldat noir américain rencontré lors de sa nouvelle carrière d’entraîneuse dans les bars réservés aux G.I. La rixe entre les deux hommes se termine par le meurtre de l’amant américain par Maria qui laisse Herman, son mari, s’accuser et purger sa peine de prison. Sacrifié pour la patrie Ce que raconte la pièce, fidèle au scénario du film porté par la sensuelle et vibrante Hanna Shygulla, c’est bien les failles et la complexité de la situation de cette nouvelle Allemagne, symbolisée par Maria, prête à se compromettre et à ruser avec ses nouveaux amis pour s’enrichir et se remettre sur pied. Maria l’entraîneuse va ensuite séduire Oswald, un industriel français, dont elle va devenir la secrétaire et la sherpa, décidant de la fabrication des bas nylon avec les Américains, négociant avec les syndicats et couchant bien sûr avec le patron de manière à ce que ce soit elle qui le décide. Femme de tête, femme de cœur, enfouissant ses sentiments dans sa besace de soldate pour la bonne cause et pour bâtir son empire financier, Maria n’en demeure pas moins l’épouse de son mari qu’elle visite chaque semaine et dont elle reçoit une rose hebdomadaire. Une mise en scène brillante comme de l’acier Des projections vidéo sur les voilages qui forment des vagues en bordure de plateau, des fauteuils clubs années 50 posés çà et là, damier à la géométrie mouvante, l’espace conçu par Nina Wetzel est ouvert et permet une circulation ultra-fluide des comédiens dans un lieu neutre. Ostermeier dépose par petites touches des repères contextuels qui viennent déranger d’emblée le confort du spectateur : photographies noir et blanc des foules de femmes et d’enfants magnétisés par les discours d’Adolf Hitler, lettres d’Eva Braun à son “petit loup d’Adolf” lues entre une répétition lancinante de “Heil” sussurés comme des mots d’amour, l’histoire du nazisme est bien là, dans sa naïveté grossière et dramatique, mais elle est balayée d’un coup de baguette magique par le présent théâtral. Fine et nerveuse, l’actrice suisse Ursina Lardi tricote sa toile de maître en femme blessée par l’Histoire, menant un triple jeu à la manière d’une Mata Hari de l’industrie. Moritz Gottwald, Sebastian Schwarz, Robert Beyer et Thomas Bading échangent les écharpes et les robes en magiciens du travestissement, hommes jouant des femmes en pleurs ou des infirmières, hommes jouant des docteurs en dépression ou des comptables psychorigides, comédiens à la plastique de caméléons qui exécutent leur composition en arlequins géniaux. Du théâtre qui invente une nouvelle forme de réalisme Car le théâtre d’Ostermeier n’imite pas le cinéma de Fassbinder. Il en invente une nouvelle écriture nourrie du travestissement théâtral et de l’arrêt sur image cinématographique. Il est de ce fait très intéressant de voir des hommes jouer des femmes, alors qu’Herman, le mari de Maria, lui demande du temps pour devenir vraiment un homme et être à la hauteur de celle qu’elle est devenue. Dans un monde de ménagères quasi-étrangères à celui du travail masculin, Maria/Ursina bouscule les lignes en se comportant comme un homme et en leur donnant une nouvelle naissance. On ne racontera pas la fin d’une histoire où chacun pourra trouver des réponses à ses nombreux questionnements, car Maria Braun dépasse largement les bornes d’un comportement réaliste. Son ambition est de nous perturber et cette mise en scène, dans son élégante douceur, l’incarne parfaitement. Hélène Kuttner [Photos © Arno Declair] |
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