Singapour en 50 films à la Cinémathèque
Cinémas de Singapour Du 10 juin au 6 juillet 2015 Plein tarif : 6,5 € Cinémathèque Française M° Bercy |
Du 10 juin au 6 juillet 2015
Dans le cadre du festival Singapour en France, la Cinémathèque joue la carte de la découverte du cinéma de la cité-État avec ce cycle de 50 films. Nous nous sommes adressés à Raphaël Millet – producteur et réalisateur de documentaires, auteur de deux ouvrages sur le cinéma singapourien – pour savoir ce qui fait l’identité du cinéma singapourien. Entretien.
Penarek Beca est non seulement inspiré du “cinéma parallèle” indien du début des années 1950 à la Bimal Roy, mais aussi du néoréalisme italien à la Vittorio De Sica, ce qui n’est pas sans contribuer à souligner son importance dans l’histoire du cinéma de Singapour. Mee Pok Man (1995), d’Eric Khoo, est aussi un film à ne pas rater, car il est le premier vrai long métrage marquant, en 1995, le retour sur scène du cinéma singapourien, après un “coma” de près de quinze ans. Tout le style d’Eric Khoo s’y trouve déjà, style qui eut une influence considérable sur les jeunes réalisateurs qui apparurent dans son sillage jusqu’au milieu des années 2000. Il y a aussi Perth, de Djinn, qui reste un peu une exception selon moi. Ce film rugueux, très marqué par les codes cinématographiques occidentaux, est un peu le Taxi driver à la sauce singapourienne. À ma connaissance, personne d’autre que Djinn n’a vraiment su explorer cette voie jusqu’à présent. Non seulement il tranche par son approche esthétique qui en fait un objet cinématographiquement assez réussi, mais aussi et surtout il prend le mythe de la réussite singapourienne complètement à revers, en traitant le thème de l’échec avec un véritable sens de la tension narrative, laissant la porte ouverte aux comportements explosifs, chose assez rare dans l’imagerie singapourienne habituelle. Un ofni du cinéma singapourien de ces dernières années est HERE (2009, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs la même année) du réalisateur expérimental et artiste contemporain Ho Tzu Nyen, fortement influencé par Michel Foucault. Cette histoire d’asile d’aliénés est une métaphore cauchemardesque de Singapour. Sans doute est-ce là le versant le plus intellectuel et le plus contemporain de ce que le septième art singapourien peut offrir. À voir donc ! Quels sont les réalisateurs de Singapour reconnus internationalement ou “stars” dans la région asiatique ? Indéniablement, le seul réalisateur singapourien vraiment connu à l’international de nos jours reste Eric Khoo. Il est celui dont les premiers courts et longs métrages ont vraiment marqué la renaissance du cinéma singapourien au milieu des années 1990. Des réalisateurs plus jeunes se sont fait connaître ces dernières années, notamment dans les circuits festivaliers, en y remportant parfois certains prix (comme Anthony Chen dont Ilo Ilo a gagné la Caméra d’Or à Cannes en 2013). Un autre réalisateur, Jack Neo, auteur de comédies à succès, est assez connu en Asie du Sud-Est, notamment à Taiwan et en Malaisie, touchant essentiellement le public sinophone. Quelle est la spécificité de ce jeune cinéma ? Est-ce qu’il y a un type de sujet qui est récurrent, une façon de filmer… ? Ce cinéma est marqué par une profonde mélancolie, que l’on retrouve dans nombre de films d’Eric Khoo, de Djinn, Royston Tan, Ho Tzu Nyen, Boo Junfeng et plus récemment Anthony Chen. C’est la trace cinématographique d’un mal de vivre réel, dont le cinéma n’est pas le seul à se faire l’écho à Singapour, mais que l’on retrouve aussi dans la création théâtrale locale, ainsi que dans la littérature et particulièrement la poésie. Mêmes les grosses comédies tournées par Jack Neo ne sont pas totalement exemptes d’une telle mélancolie, quand on les regarde d’un peu plus près. Parler de cinéma singapourien a-t-il un sens ? J’imagine qu’il doit se nourrir de nombreuses influences, d’autant que le pays est petit. Les frontières de ce cinéma englobent-elles une communauté artistique plus large : Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande et Vietnam ? Même si la production cinématographique locale de ces vingt dernières années reste extrêmement maigre, se limitant à une poignée de films par an, on peut cependant parler de cinéma singapourien, car il y a indéniablement une identité cinématographique singapourienne, tant par les thèmes que par l’esthétique. Au bout du compte, c’est un cinéma qui a fort peu à voir avec ses voisins immédiats, d’Indonésie, de Malaisie, des Philippines, et quasiment rien avec le Vietnam, le Cambodge ou la Thaïlande. À la rigueur, s’il y a parfois des influences extérieures qui se font sentir, elles viennent de plus loin, de Taiwan, de Hong Kong, du Japon, mais aussi du cinéma d’auteur européen et bien sûr des blockbusters américains (dans certaines formes narratives auxquelles les cinéastes singapouriens aspirent parfois). En cela, le cinéma de Singapour est, à l’image de la cité-État dont il est issu, une rencontre entre l’Orient et l’Occident, faisant mentir Rudyard Kipling (“East is East and West is West…”). Est-ce que la censure interdit la sortie de certains films ? Certains films ou réalisateurs sont-ils étiquetés comme dissidents ? À Singapour, comme dans la plupart des autres pays, il existe un système de classification cinématographique amenant de facto à l’interdiction de certains films, lesquels ne sont d’ailleurs pas présents dans cette rétrospective. L’un des cas les plus récents est To Singapore, with love (2013), un documentaire de Tan Pin Pin traitant des exilés politiques singapouriens qui, pour certains depuis environ 50 ans, n’ont jamais pu revenir dans leur pays. Le film, soumis à la commission de classification, a reçu un “Not allowed for all ratings” qui tout simplement en empêche de facto toute projection publique. Un autre exemple connu est celui du réalisateur Martyn See, dont les films-documentaires consacrés à l’histoire politique passée et présente de Singapour sont eux aussi régulièrement l’objet d’interdiction, comme cela a été le cas pour Singapore rebel (2005), Zahari’s 17 years (2006) et Dr Lim Hock Siew (2010). Est-ce qu’il y a des sujets tabous dans ce cinéma ? Outre la politique intérieure, la religion est un sujet extrêmement sensible à Singapour, le gouvernement veillant de très près à la préservation de la tolérance religieuse et de l’harmonie interethnique. Mais sur ce plan, on ne peut que reconnaître que Singapour est une véritable réussite en termes de tolérance et de coexistence religieuses. Propos recueillis par Stéphanie Pioda [As you were de Liao Jiekai, 2014. DR / Affiche de Mee Pok Man (1995) d’Eric Khoo. DR / Lim Kay Tong dans Perth par Djinn (2003) / Affiche de Ilo Ilo d’Anthony Chen, 2012. © Epicentre Films / As you were de Liao Jiekai, 2014. DR / Innocents de Wong Chen-Hsi, 2012. DR] |
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