Le Chagrin, de l’enfance au drame
Le Chagrin Par la compagnie les Hommes Approximatifs Mise en scène Caroline Guiela Nguyen Avec Dan Artus, Caroline Cano, Chloé Catrin, Violette Garo‑Brunel et Mehdi Limam Jusqu’au 6 juin 2015 Du mercredi au samedi à 21h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h Tarifs : de 14,50€ à 29,50€ Réservation en ligne ou au 01 44 62 52 52 Durée : 1h20 La Colline |
Jusqu’au 6 juin 2015 De ce ce grand terrain de jeu offert par la mise en scène de Caroline Guiela Nguyen, les comédiens nous barbouillent, nous éclaboussent de terre et de leurs larmes. Un puzzle d’écritures collectives de plateau, où, pièce après pièce, se dessine une chronique du deuil. Une création profonde qui, à travers un retour à l’enfance, nous touche au plus intime. Ça et là, figurines, marionnettes, peluches, ou encore un ballon remplissent pêle-mêle un décor couleur bleu pastel avec du rose bonbon tartinés partout sur les murs. Une écran de télévision diffuse des images du dessin animé « Alice au pays des Merveilles ». Sur la petite table du fond, une grand mère cultive une jardinière, arrange des fleurs. Puis elle allume des cierges qu’elle dispose soigneusement, formant un petit autel. Sur une grande table, à l’avant-scène, d’étonnants adultes jouent comme des enfants, s’éclaboussent, se chamaillent. Nous rions, déconcertés face à cet étrange spectacle. Ce sont des frères et soeurs campés par Dan Artus et Chloé Catrin. Une amie de la famille, également attablée, habille des figurines. Jolie chambre d’enfants ou maison de poupée, ce petit monde a tout l’air d’un paradis d’enfance rêvé. Rêvé ? À quelques détails près. Car lorsque l’œil s’exerce, des têtes de mort, un ours en peluche écartelé, des poupées rangées dans un four, des images symboles de mort dévoilent en filigrane une autre dimension. La sonnerie du téléphone qui retentit bientôt vient troubler l’apparente quiétude. Les enfants n’ont visiblement guère envie de décrocher et s’affairent à maintenir leur univers imperméable à cette intrusion malvenue. Pourtant, peu à peu, la mauvaise nouvelle s’infiltre ; celle de la mort du père.
L’action se situe dans la semaine qui suit le décès. Telle cette chrysalide, ou la petite chenille hiberne avant de devenir papillon, la chambre d’enfant symbolise cet espace-temps du deuil où l’on se transforme, où l’on intègre la douleur et le changement pour s’armer et grandir. La pièce de la maison familiale est ce terreau favorable à la recomposition. Dans cette matière noire que cultive la grand mère et dont Vincent barbouille la pièce, il y a la graine, fleur en germe. Une terre chargée en symbolique dans ce contexte funéraire. Au plus près de l’enfance « J’ai mis toute ma vie à savoir dessiner comme un enfant », avouait Picasso. Retrouver l’enfant enfoui en soi est un travail d’artiste. Comme un large bac à sable, le plateau du Petit Théâtre de la Colline, avec son fatras d’objets et de matières, offre une grande liberté de jeu et fait la part belle à l’improvisation. Les comédiens dans un jeu naturaliste très proche de l’incarnation, y évoluent au plus près de l’enfance et se réinventent continuellement comme on construit et détruit des châteaux de sable pour les reconstruire ensuite. Ils racontent des histoires dont ils changent les versions au gré de leurs désirs impulsifs. Une écoute attentive, une sensibilité à fleur de peau, des gestes et des regards habités sont autant de témoins de cette enfance retrouvée. Des scènes silencieuses qui se passent du langage, des silences furtifs, suffisent à exprimer l’essentiel, l’indicible et les non-dits qui planent, les liens ténus qui unissent les membres de la famille. Les comédiens suspendent le temps comme la bobine d’un film en arrêt sur image. Une société de Peter Pan ? Alors que la grand mère monte au créneau contre les heures supplémentaires illégales de son petit fils jardinier, l’intéressé élude la conversation comme pris d’une peur d’entendre une vérité qui dérange. Il « fait l’autruche », enfonce sa tête dans la terre. Les discours d’adultes peinent à pénétrer cette bulle d’enfance. Ces enfants dans un corps d’adulte pourraient illustrer un exemple de ce syndrome de Peter Pan, bovarysme contemporain, ce nouveau mal prêt à porter créé de toute pièce par notre société.
Une société du triomphe d’un marketing «Disney» sacralisé, ou paillettes et images roses bonbon jettent de la poudre aux yeux, bercent de doux fantasmes de bonheur et où, pourtant, l’humain infantilisé, réifié, peine à s’exprimer. Un monde du travail qui grignote toujours plus de dignité aux hommes, poupées jetables, robots, pions ou marionnettes dans le grand théâtre de la société de consommation. La froideur du jeune employé des pompes funèbres face à la grand mère éplorée glace. Le drame de ce monde n’est-il pas de se réduire à un vaste terrain de jeu, dont nous serions devenus quelque part, bien malgré nous, les jouets ?
Jeanne Rolland |
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