Les Lettres Portugaises
De: Anonyme, XVIIe siècle ou Gabriel de Guilleragues
Mise en scène de Teresa Motta-Demarcy
Avec Marie Plateau, Renaud Spielmann
Jusqu’au 2 juin 2015 Tous les mardi à 21h15
Prolongation ! Les mardi 9, mercredi 10 et jeudi 11 juin à 21h15
Tarifs de 8€ à 18€
Réservation par tél au 01.42.01.92.26
Durée : 1h15
Théâtre Darius Milhaud 80, allée Darius Milhaud 75019 Paris M° Porte de la Villette
www.theatredariusmilhaud.fr
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Du 10 mars au 11 juin 2015
Teresa Motta-Demarcy met en scène la comédienne Marie Plateau et le guitariste Renaud Spielmann dans une relecture, surprenante de résonances contemporaines, des fameuses Lettres Portugaises. Pour la petite histoire, la metteur en scène n’est autre que la maman de l’actuel directeur du Théâtre de la Ville et la sœur de l’ex-directeur du Teatro Nacional D. Maria II de Lisbonne. Mais il ne faut pas s’attendre aux fastes d’un théâtre qui investit avant tout dans les décors. Ici, l’humain et le sens prennent toute leur place.
Depuis dix ans, la comédienne Marie Plateau creuse les Lettres Portugaises, œuvre de référence en matière de passion amoureuse. Depuis des siècles, on s’interroge sur l’identité de l’auteur de ces cinq lettres. Construit comme une tragédie en cinq actes, mais allant vers un dénouement libératoire, cet essai épistolaire pourrait, bien sûr, avoir véritablement été couché sur papier par une authentique religieuse, vivant dans la chambre de son couvent une relation passionnelle avec un officier de l’armée française. Mais on soupçonne tout autant une paternité française, possiblement de la main du comte Gabriel de Guilleragues, secrétaire royal de son état, comme l’annonce très officiellement le film de Bruno-François Boucher et Jean-Paul Seaulieu, en salle à partir du 13 mai 2015 (« d’après le chef-d’œuvre de Guilleragues »).
Si un film ne peut que jouer sur l’ambiance d’un cloître du XVII siècle, Marie Plateau, dans la mise en scène de Teresa Motta-Demarcy, ouvre un millefeuille de rapports possibles entre les lettres, leur auteur et leurs lecteurs d’aujourd’hui. Le théâtre permet cela, et c’est toute sa force. Aux interrogations sur l’autrice ou l’auteur, la version portée sur les planches par la metteur en scène et l’actrice, accompagnée à la guitare par Renaud Spielmann, ajoute un questionnement plus proche de nous. Comment se décline le rapport de la femme d’aujourd’hui à la passion amoureuse?
Avec le texte des Lettres légèrement retravaillé dans le sens d’une ouverture plus grande (mais sans en changer une virgule), Marie Plateau passe de la tragédienne à une écrivaine-lectrice-amoureuse en toute indépendance apparente.
En 1669, année de publication des Lettres, le déchirement se plaçait entre les attentes d’une société profondément religieuse et les désirs intimes. Aujourd’hui, d’autres attentes ont pris cette place, comme le souci de l’apparence et la réussite professionnelle, mais le conflit n’en est pas moins dévorant.
En faisant de Mariana Afcoforado, cette « pauvre Marianne » religieuse et autrice présumée, une femme dans laquelle les époques se croisent et se déploient de façon rhizomique, cette vision émancipatoire des Lettres dévoile une dimension quasiment psychanalytique. Toute référence au cloître devient ainsi une métaphore de l’enfermement de l’esprit dans une passion éclatante, mais obsessionnelle. Quand finalement, au bout de moult tourment de l’âme, le plaisir de vivre l’emporte sur le désir de mourir, ces Lettres dévoilent à quel point elles correspondent à l’approche contemporaine de l’existence.
S’il manque encore à ce spectacle une meilleure intégration du musicien, qui pourrait s’inscrire en tant que mirage amoureux ou autre reflet et passeur, ainsi qu’une utilisation plus cohérente de l’espace scénique, le curseur est clairement placé sur une relecture passionnante des Lettres Portugaises, véritable hymne à l’amour (enfer et contre tout).
Thomas Hahn
[Photos : DR]
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