Audaces chorégraphiques en Seine-Saint-Denis
Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis Du 5 mai au 13 juin 2015 |
Du 5 mai au 13 juin 2015
Rien de tel que les Rencontres Chorégraphiques Internationales, pour se faire une idée de ce qui meut les chorégraphes les plus imprévisibles, quel que soit leur pays d’ancrage. De Bagnolet à Saint-Denis, le neuf-trois devient un vaste champ d’expérimentation artistique. Avis aux explorateurs ! Vingt-cinq compagnies, 12 créations, dix théâtres partenaires, quinze pays représentés. Pendant cinq semaines, on verra, comme chaque année, le fruit des déplacements d’Anita Mathieu, directrice du festival et infatigable voyageuse. Oui, ce festival est audacieux, et pas seulement parce que la moitié de la programmation réunit des créations mondiales. Sur la forme comme sur le fond, les Rencontres Chorégraphiques sont un étendard de la liberté à imaginer, à créer, à réfléchir et à défier les pensées uniques. Les chorégraphes investissent le corps comme champ politique et artistique, social et sociétal. On ne boude pas son plaisir, tout au contraire. Prenez Perrine Valli, cette Franco-Suisse qui présente « Une femme au soleil », inspiré du peintre Edward Hopper et de « L’Il y a du rapport sexuel », un essai de Jean-Luc Nancy, philosophe très à la mode chez les chorégraphes. Avec Hopper comme point de départ, et notamment son tableau « Une femme au soleil », on a la certitude d’un enjeu visuel fort qui frappe sans détour. Les rétines auront plus de mystère à explorer, face à « The Black Piece » d’Anne Van den Broek. Cinq danseurs et un cameraman amènent le public dans le noir, pour changer les paramètres de la perception, pour stimuler l’imagination. Et la danse émerge lentement du noir et d’images brisées, face à un public qui a tous les sens en éveil. Autre jeu avec l’imperceptible, ce « Yuj » de Clara Cornil et David Subal qui interroge les modifications très subtils qui traversent les corps des danseurs quand ils passent de l’interprétation d’une chorégraphie écrite à l’improvisation. Que cette différence vous interpelle ou qu’elle vous échappe, les quatre danseurs et quatre musiciens interrogent tout autant la relation entre leurs arts respectifs, dans une relation vivante du face à face. Mais la musique est partout, même dans ses propres silences ! L’Italienne Rita Cioffi va quant à elle se pencher sur le trash, à travers la poésie de Michel Houellebecq. En fait, la chorégraphe-interprète et la comédienne Stéphanie Marc vont explorer les entre-deux de lyrisme/cynisme, romantisme/désespérance et autres. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=ArjkfudQyys[/embedyt] Alors que Cioffi s’intéresse à Houellebecq et au trash, voilà Fanny de Chaillé qui se penche sur la chute, le vertige, le déséquilibre, comme une autre facette du même romantisme. Ici, pas de Houellebecq comme point de départ, mais une toile de Caspar David Friedrich, « Le Voyageur contemplant une mer Cependant elle sait que la chute n’a d’intérêt que si elle trouve une issue, et que cette issue peut résider dans la répétition. C’est pourquoi son solo « Chut » s’inspire autant de Chaplin et Keaton. « Chut » est un solo pour un comédien muet, face à une installation visuelle de la scénographe plasticienne Nadia Lauro créant l’illusion d’un paysage en 3D. Viennent ensuite deux séries de pièces brèves, les Soirées Singulières. Et l’expérimentation peut commencer de plus belle. « Erotic Dance » ! Dans son solo, Luke George montre comment il tente d’interpréter littéralement cette injonction de l’écrivaine activiste Susan Sontag : « il faut remplacer l’herméneutique par l’érotique de l’art ». Et tout devient possible… Luke George est Australien, Connor Schumacher un Américain installé à Rotterdam. C’est là qu’il a conçu son « Boy oh Boy : God’s first creature », une sorte de rituel noir, brut de décoffrage et pourtant très étudié dans tous les détails. Certes, on le verra en tenue d’Adam, mais la « première créature de dieu » fut la lumière, et c’est la recherche visuelle qui guide ce solo. En effet, les soirées singulières proposent des solos, mais Cindy Can Acker, qui n’y participe pas, sera tout autant seule en scène, dans « Ion ». Géométrie, épure, dimension plastique à la lisière de l’installation, et une recherche rigoureuse sur le temps traversant le corps, voilà les valeurs que défend cette Flamande installée à Genève. Mais il y a une suite aux Soirées Singulières masculines, et elle est féminine! Elle présente quatre solos en une soirée, avec la contorsionniste brésilienne Alice Ripoll, la Coréenne Son Hye-Jeong qui se suspend par les pieds pour évoquer l’ambiance des maisons closes et navigue entre animalité et réminiscences de ballet classique. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=1iuwvogpg3Y[/embedyt] La Japonaise Moto Takahashi, pour la première fois en France (oui, c’est un festival plein de découvertes), n’hésite pas à incarner un SDF. Et Malika Djardi met en scène sa relation avec sa propre mère dans « Sa Prière » où, justement, elle observe le rituel religieux de sa mère, en discute avec elle comme de la danse et de la vie. La gestuelle très affirmée, sportive et débordante d’énergie, elle construit un univers parallèle mais pas déconnecté de la parole maternelle, dans une relation de liberté et d’affinité assumée, faisant preuve d’une personnalité étonnante de justesse et de force de caractère. Une contribution très audacieuse à tous les débats sur l’islam. Et si on sort des Soirées Singulières, on en découvre pourtant une de plus qui ne se déclare pas. Arrive donc « Cicatriz », solo de la Brésilienne Aline Corrêa, ancienne membre de la compagnie Membros, connue pour ses pièces sans fard sur la vie dans les favelas. Sous la codirection artistique de Paulo Azevedo, ancien directeur de Membros, elle se présent, le corps couvert d’écritures énigmatiques et pourtant familières, pour naviguer entre cruauté, vulnérabilité, douceur et allures de gladiateur. Comme pour lui faire un pied de nez, c’est Eleanor Bauer ancienne interprète d’Anne Teresa de Keersmaeker, Xavier Le Roy et Boris Charmatz qui monte sur scène parce que, comme elle dit, « Big Girls do Big Things ». Masi oui! Bauer n’est pas nue, elle joue avec une seconde peau, en l’occurrence une fausse fourrure d’ours polaire. Et il y a encore tant d’autres surprises au programme, dont il n’a pu être question ici. Thomas Hahn [ Photos : Guto Muniz ; Dorothée Thébert ; DR ; Rennie McDougall ; Studio Rios Zertuche ; Christophe Louergli ; Ian Douglas ] |
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