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Ladislas Chollat : « Je suis un instinctif »

29 avril 2015
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Olivier-Chollat

Ladislas Chollat : « Je suis un instinctif »

Olivier ChollatCéline Nieszawer11 - copie copieA raison de trois créations de pièces par an depuis quelques années, Ladislas Chollat est considéré comme l’un des metteurs en scène les plus demandés actuellement. Alors qu’il va bientôt fêter ses quarante ans, il revendique avant tout de servir les textes et leurs auteurs, avant d’être portés par les meilleurs acteurs. Trois Molière l’an dernier pour « Le Père » de Florian Zeller, et cette saison une nomination pour « Les Cartes du pouvoir » et une pour « Deux hommes tout nus » : la moisson est riche pour ce jeune artiste.

Que regard portez-vous sur les récompenses des Molière, pour lesquels vous avez-été nominé avec « Les cartes du pouvoir » ?

-Ce n’est pas moi qui les reçois, c’est le spectacle en lui-même. Le plus beau cadeau que l’on puisse recevoir au théâtre, c’est l’idée de partage. Je n’envisage pas mon statut de metteur en scène de théâtre comme un chef dictatorial qui dirige. J’adore le travail en équipe, l’échange avec les techniciens et les acteurs. Un Molière doit être partagé par tous, c’est un moment de fête. Mais je suis très lucide sur ces prix. C’est génial pour les parents ou pour poser sur une cheminée, mais reconnaissons que c’est très subjectif. Ce qui est formidable pour moi, c’est que France 2 ait diffusé en direct « Un petit jeu sans conséquences » que j’avais mis en scène avant la cérémonie elle même. On a travaillé intensément pour être près cette soirée !

Pourquoi France 2 a -t-elle fait le choix de capter cette pièce ?

-Depuis quelques années, France 2 capte tous mes spectacles. « La station Champbaudet » de Labiche au Théâtre Marigny, « Harold et Maude » et « Une heure de tranquillité » au Théâtre Antoine avaient été captés. Pour faire suite aux Molière qu’avait reçus « Le père », les producteurs de télévision m’ont demandé de retravailler avec Isabelle Gélinas sur un texte contemporain. « Un petit jeu sans conséquences » avait déjà eu plusieurs Molière il y a douze ans et c’est un texte que j’adore, un Marivaux contemporain. Il sera repris la saison prochaine. L’idée est de réfléchir à la manière d’associer la télévision au théâtre. En proposant des captations de pièces, la télévision met au service du théâtre de gros moyens qu’elle associe ensuite à la productions de pièces. J’entends dire que la télévision « tue » le théâtre car les téléspectateurs ne vont pas voir les pièces. C’est un faux débat ! Une pièce qui passe à la télévision, lorsqu’elle est bien réalisée, peut inciter les gens à aller au théâtre. Des passerelles peuvent se faire entre ces deux mondes et je suis très heureux de travailler pour la télévision.

Après cette captation, vos projets s’orientent vers la comédie musicale avec France Gall ?

-Je suis avide et boulimique de projets en tous genres. En septembre prochain je vais créer « Momo », une nouvelle pièce de Sébastien Thiéry avec Muriel Robin et François Berléand au Théâtre de Paris. C’est une pièce sur l’adoption et sur le fait de devenir parents tout à coup. Comme je viens d’être père moi-même, j’ai dit oui tout de suite ! Ensuite, je vais dans une toute autre direction avec « Résiste », la comédie musicale de France Gall avec les plus belles chansons de Michel Berger et de France Gall, créées sur scène avec de jeunes artistes qui n’ont que 20 ans. C’est un véritable challenge car le spectacle va tourner dans une vingtaine de Palais des Sports en France et débute à Paris le 4 novembre 2015. Le livret a été écrit par France Gall et Bruck Dawit et je l’ai ensuite adapté avec Laetitia Colombani, une scénariste. J’ai un réel souci de l’écriture des textes. Mon travail depuis huit mois à été de placer le livret à la hauteur des chansons de Berger et de Gall et de distribuer les bons artistes. Je suis en général déçu par les comédies musicales « made in France » par rapport à celles qu’on peut voir à Londres ou New York. 

On sent que l’écriture est au centre de vos préoccupations.

-C’est vrai. Lors de chaque création, j’aborde la question de l’écriture avec les auteurs qui acceptent de le faire. Avec Sébastien Thiéry, lui-même par ailleurs comédien, ou Beau Willimon avec lequel j’ai monté les « Cartes du Pouvoir » qui a été adapté de l’américain, je peux avoir de vrais échanges. Ces conversations et ces échanges qui permettent de rendre heureux des auteurs vivants se font beaucoup à travers le théâtre privé. Dans le privé, on monte essentiellement des auteurs vivants. Maintenant, je pousse les théâtres privés à monter des classiques : Musset, Hugo, Marivaux mériteraient d’être mis en scène à côté des auteurs vivants. Savoir qu’un texte fonctionne au théâtre dépend de sa sensibilité. Avant l’intellect, je fonctionne à l’instinct. Et en général ça marche. 

Aujourd’hui vous dirigez des stars dans le privé à Paris, alors que vous avez débuté comme comédien amateur à Marseille en menant des études de lettres à l’Université, avant de jouer dans vos propres mises en scène. Comment expliquer cette évolution fulgurante en vingt ans ?

-Je me trouvais mauvais comme comédien ! Je me voyais jouer, j’avais un corps mal placé, la tête en avant ! Je suis donc passé naturellement à la mise en scène mais en direction d’un travail collectif. Je suis passé du théâtre subventionné avec la Maison de la Culture d’Amiens au théâtre privé grâce à Pierre Lescure, qui venait de prendre la direction du Théâtre Marigny et qui appréciait comme moi l’auteur américain Israël Horowitz. J’ai donc monté « Très chère Mathilde » avec Line Renaud qui a été un succès. Ensuite, durant un an et demi, j’ai touché le chômage tout en me demandant si j’allais poursuivre dans ce métier. Je postulais pour diriger d’autres théâtres en région mais on me reprochait d’avoir travaillé dans le théâtre privé, alors que ce dernier me voyait arriver d’un mauvais oeil car j’avais dirigé un théâtre subventionné ! On pensait que j’allais dépenser effrontément l’argent public ! Je pense au contraire que l’on peut monter de très beaux textes sans grands moyens financiers.

Mais aujourd’hui on vous fait confiance en vous donnant des moyens dans le théâtre privé !

-Ce sont les acteurs qui me font confiance. En fait, aujourd’hui, ce sont les acteurs qui sont les décideurs dans tous les théâtres, privés comme publics. Isabelle Huppert joue Marivaux dans la grande salle de l’Odéon à Paris. La chance que j’ai, c’est d’avoir la confiance des acteurs. 

Comment s’est développée cette confiance ?

J’essaie de saisir l’instant avec eux sans à-priori de mise en scène. J’ai une vision très instinctive du théâtre. Les fois où j’ai eu peur, et que j’ai trop préparé, la théorie du texte a pris le pas sur le théâtre. Le théâtre se fait à la verticale : on est face à des gens qu’il faut écouter. Il faut laisser les acteurs inventer tout en impulsant des contraintes artistiques. Mais il faut aussi être suffisamment souple pour adapter les contraintes, ne pas insister quand un acteur se bloque ou n’y arrive pas. Mon métier, c’est c’est écart entre la contrainte et la liberté. Respecter la liberté de l’acteur et imposer une direction, un cap au spectacle. Et surtout faire en sorte que l’acteur que l’on dirige reste élégant par sa présence. Je ne suis pas un metteur en scène qui crie ou qui engueule, je suis plutôt très doux. J’aime tellement mon métier que je pense qu’il faut l’exercer avec le sourire, en étant heureux. Dans notre monde qui devient étrangement dur, je trouve merveilleux qu’un public se réunisse au théâtre pour éprouver du plaisir, de l’émotion, réfléchir à des sujets qui l’interpellent autour d’un collectif d’acteurs. Le théâtre reste l’un des derniers lieux de partage. Il se trouve que c’est le théâtre privé qui me donne aujourd’hui la possibilité et la liberté de monter les textes que j’aime. L’essentiel est de continuer à raconter des histoires avec coeur et exigence. Même si de nombreux projets se montent avec des vedettes, je rêve d’un retour des auteurs sur les scènes de théâtre ! 

Hélène Kuttner

[ Visuel : ©Céline Nieszawer]

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