Primo Levi et Ferdinando Camon : surprenants
Primo Levi et Ferdinando D’après Conversations Mise en scène de Dominique Lurcel Avec Éric Cénat et Gérard Cherqui Jusqu’au 26 mai 2015 Tarifs : de 15 à 20 € Réservation en ligne ou au 01 42 78 46 42 Durée : 1h20 Théâtre de l’Essaïon M° Rambuteau |
S’emparant des conversations qui se sont échelonnées durant les dernières années de la vie de Primo Levi avec Ferdinando Camon, journaliste et célèbre essayiste, Éric Cénat et Gérard Cherqui, dirigés par Dominique Lurcel, incarnent ce face-à-face d’une intelligence lumineuse. Un surprenant moment de grâce.
Un engagement d’acteurs total Pour dire de grands textes, il faut de grands acteurs. Lorsque Gérard Cherqui, qui incarne Primo Levi, et Éric Cénat, Camon, pénètrent sur le plateau baigné d’une lumière dorée, douce comme le soleil d’une fin de journée au bord de la Méditerranée, un silence s’installe d’abord, tant les mots, les questions se pressent dans la bouche de l’intervieweur. Ferdinando Camon, poète humaniste et catholique, profondément attaché à la terre italienne, s’est pris de passion pour Primo Levi, son parcours et sa vision de l’histoire. Ce dernier, jeune chimiste juif, arrêté par les fascistes italiens en 1943 et déporté à Auschwitz, fut le premier à relater son expérience concentrationnaire dans Si c’est un homme, paru en Italie en 1947. En 1982, lorsque débutent ces entretiens, Levi a écrit plusieurs livres dont La Trêve et voyagé autour du monde en recevant de nombreux prix. Gérard Cherqui compose un personnage d’une intense sensibilité et d’une intelligence brillante, avec une modestie et une classe saisissantes. Calme, précision, mesure, douceur, les réponses qu’il fait à Camon sont mûrement réfléchies et teintées d’une subtile ironie sur la vie et les hommes. Au contraire, Éric Cénat, qui joue Camon, l’assume avec la fougue latine et fiévreuse qui cherche la vérité, apportant parfois même des réponses à ses propres questions. Un échange d’une richesse impressionnante Fiévreuses, passionnées, les conversations se portent rapidement sur des sujets brûlants : la vie dans les camps et particulièrement à Auschwitz, la difficulté de communiquer entre déportés de langues diverses, la responsabilité de la nation allemande et sa complicité, le totalitarisme en URSS vu par Soljenitsine et la prolifération des dictatures dans le monde. Camon le chrétien cherche des réponses qui pourraient conforter sa vision du Bien et du Mal. Levi, Juif athée, n’a plus cessé de douter de l’existence de Dieu depuis son expérience dans les camps. Avec un sens aigu de la répartie et une lucidité aiguisée, il parle de l’écriture qui lui a permis de survivre après cette tragédie, de la tolérance qu’il se doit d’adopter lorsqu’il se retrouve face à d’anciens nazis en Allemagne où, en tant que responsable d’une grosse entreprise de chimie, il a été amené à voyager. Sobrement dirigés, les comédiens distillent ces phrases lumineuses qui racontent une vie et qui disent aussi la difficulté de survivre quand on a vu ses compagnons se faire assassiner. Des mots qui interrogent le sens de la vie et qui sont des mots d’amour, justement pour cette vie. Saisis par le souffle de cette pensée en action, on ressort de là plus intelligents qu’on ne l’était en entrant. Grâce au contact de grands hommes. Hélène Kuttner
[Crédit photos © Philippe Lacombe] |
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