“Sud Eau Nord Déplacer” et l’immensité du paysage macroéconomique chinois

 
Antoine Boutet, 46 ans, vient des arts plastiques. Il réalisait en 2009 Le Plein pays qui mettait en scène un homme marginal qui proposait par ses gravures archaïques une autre issue au monde apocalyptique qui est le nôtre (Les Films du Paradoxe). Ce 59 minutes le propulse au rang des jeunes cinéastes.

Ses projets sont liés à l’urbanisme, à l’aménagement du territoire et donc à la politique.

En 2006, alors qu’il présentait à Toulouse une installation vidéo sur le barrage des Trois-Gorges en Chine (Zone of initial dilution), il a eu l’idée de ce documentaire sur le projet “Nan Shui Bei Diao”, littéralement “Sud Eau Nord Déplacer” et sur les dangers que celui-ci fait courir aux populations locales comme à l’écosystème. Cette idée venait du président et guide suprême Mao en 1952 qui partait du constat que Pékin, comme tout le nord de la Chine, était privé de ressources en eau. Il suffisait donc de détourner les fleuves qui irriguent tout le sud.

En conséquence, dès 2002, le gouvernement chinois mettait en route un des plus vastes chantiers hydrauliques jamais réalisés (80 milliards de dollars). Ainsi, à partir du Yangzi Jiang, trois voies d’eau de plus de 4 000 kilomètres remonteront vers le nord. 

Les effets de la sécheresse sont désormais criants dans les zones du sud et dans le nord là où se trouvent les ressources naturelles du Tibet. Le spectateur comprendra que les Tibétains sont en réel danger environnemental, ce qui ajoute aux meurtrissures qui sont celles de ce peuple qui se sent annexé.

Ce film (Les Films du Présent et Sister Productions) montre à l’aide de témoignages que l’essor économique de la Chine, s’il a changé, s’il doit changer les mentalités, demeure pour autant figé par un exécutif qui reste conservateur comme s’il avait peur de sa propre ombre.

Comment exprimer sa révolte, dès lors qu’un commissaire de quartier ou d’exploitation surgit pour vous rappeler avec véhémence que vous êtes rien ou “pas grand-chose sans le parti qui vous a donné terre et habitat ?”. Parlons-en de l’habitat ! Quasi préfabriqués venus hâtivement remplacer les maisons familiales détruites pour cause de barrage (350 000 personnes déplacées).

Ces hommes et ces femmes qu’Antoine Boutet a filmés sont touchants de vérité. Soit parce qu’ils expriment avec ferveur une philosophie dissidente de la nature, soit parce qu’ils relatent avec poésie et passion leur contestation et leur amour de la liberté.

Les plans généreux allant à l’essentiel s’attardent volontairement sur le décor journalier qui appartient au labeur des ouvriers. La caméra a la capacité de faire des longs plans-séquences sur des espaces de terre asséchée… Antoine Boutet l’exprime lorsqu’il dit : “Observer un territoire, la matière du paysage qui devient matière du film puis petit à petit approcher les hommes : mon trajet est celui du film.” Arrivent alors les témoignages qui sont passionnants.

Sud Eau Nord Déplacer reste d’une justesse et d’une véracité qui permettent de dire que l’équipe de trois personnes conduite par le réalisateur a bien fait de prendre les vues sans en demander l’autorisation qui leur aurait été refusée ou accordée sous condition.

Antoine Boutet nous propose en deux parties distinctes de voir et de comprendre le grandiose espace chinois, immensité macroéconomique, puis de regarder par un autre bout de lorgnette le combat des peuples, en minuscules avancées ici ou là, pour la protection de leur patrimoine, leur liberté en sus !

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[Visuels © Zeugma Films]