Mr Turner : L’art de la lumière et l’artiste dans l’ombre…
Mr Turner De Mike Leigh Avec Timothy Spall, Paul Jesson, Dorothy Atkinson Durée : 150 min |
La quête de la lumière traverse tout ce beau film sur un homme qui se révèle à son art autant qu’à lui-même.
Il fut un précurseur à la croisée de deux traditions, le « peintre de la lumière ». Joseph Mallord William Turner connut très jeune le succès en intégrant la Royal Academy où il reçut les honneurs de la cour. Il devînt alors rapidement renommé comme l’un des plus grands peintres romantiques d’Angleterre. Respecté de ses pairs, il prodiguait ses conseils picturaux en maître incontesté, admiré et jalousé. Pourtant, à l’instant où Mike Leigh débute son portrait d’un artiste qui dévolut la plus grande partie de son oeuvre à la peinture de paysage, cette existence s’apprête à vaciller. Ce Mr Turner, « le fameux peintre » incarné par Timothy Spall avec une vibrante sobriété, ne le sait pas encore, mais le strict académicien est sur le point de devenir le parangon de la modernité. Peintre de cour, William Turner mène néanmoins une vie simple et frugale en compagnie d’une bonne et de son père. Père qui est aussi son plus fidèle assistant et son plus fier promoteur. La vie bascule alors irrémédiablement pour le peintre lorsque ce père aimant exhale son dernier souffle. Pour conjurer le souvenir de ce père gisant, seul être pour lequel on le voit alors manifester une réelle et sincère affection, Turner tente de s’étourdir de travail et surtout, de couleurs. Car pour Turner, « le soleil est Dieu ». C’est donc la lumière que le peintre traque. Ce sont toutes ses vibrations qu’il tente de capter, dans un rapport permanent et ambigu à la modernité qui envahit son temps. Ainsi le même Turner qui s’étouffait presque d’entendre une jeune fille de bonne famille entonner une chanson gentiment paillarde dans un dîner classieux, s’émeut-il des expériences menées par une physicienne à l’aide d’un prisme pour tenter d’expliquer les propriétés de la lumière décomposée. Ainsi le peintre s’inquiète-t-il de l’arrivée de la photographie, qu’il affronte en posant pour un daguerréotype fixé pour l’éternité, mais se laisse-t-il fasciner par la confusion de couleurs entremêlées dans le nuage de vapeurs que laisse une locomotive dans son rugissant sillage. Et le réalisateur filme les paradoxes de son personnage avec tendresse, car c’est peut-être là que se cachent les fulgurances de son génie. Comme Turner subjugué par la lumière, cette lumière qu’il tente de retranscrire dans son absolu, Mike Leigh est fasciné par le regard du peintre. Plutôt que de tenter de reproduire à l’image l’œuvre picturale du peintre, le réalisateur cherche à comprendre le secret de cette contemplation. Dans un commentaire cruel, lors d’une de ses ultimes expositions à la Royal Academy, Sa Majesté dit de Turner qu’ « il perd la vue ». Mais la mise en scène affirme le contraire : à ce moment, le peintre est au paroxysme de sa vision. Ses scènes de marine, ses paysages frôlent l’abstraction et de fait, les historiens de l’art écriront de lui qu’il fut l’un des précurseurs de l’impressionnisme et de l’abstraction lyrique. Mike Leigh montre alors le peintre, isolé dans des paysages inondés de lumière. Il regarde avec lui, tentant de se glisser dans sa pupille, dévoilant avec autant de révérence que d’humour comment Turner transforme ce regard en geste artistique. Il faut alors le voir cracher sur la toile, désacraliser l’œuvre en transformant, d’une simple tache de couleur, un tableau conventionnel en œuvre révolutionnaire, vibrante de couleur et d’émotion. Par provocation, par défi, au nom d’une rivalité d’orgueil avec son contemporain John Constable. Un orgueil qui le poussera à refuser l’or d’un important mécène afin de préserver le trésor incompris qu’il sait être son œuvre pour le public des générations suivantes. L’histoire lui donnera raison, d’ailleurs, car s’il fut raillé à l’époque, Turner est aujourd’hui l’un des peintres les plus chéris de l’art britannique. Ce qui rend le personnage plus intéressant encore, c’est le jeu tout en subtilité de Timothy Spall, qui ne cherche pas à en masquer les failles. Son Turner est orgueilleux donc, mais aussi asocial, grognon, rugueux, parfois cruel et hypocrite, et pourtant si sensible. D’un seul regard, il sait évoquer le caractère le plus exécrable comme la plus touchante tendresse. Une prestation par ailleurs récompensée au dernier festival de Cannes par un prix d’interprétation masculine mérité. Il était en effet plus que temps de reconnaître le talent de Timothy Spall, plus habitué aux seconds rôles qu’aux tapis rouges et aux honneurs. Ce n’est donc que justice que ce soit le rôle du célèbre peintre de la lumière, admirateur de Claude le Lorrain et précurseur de Claude Monet, qui auréole enfin un acteur trop souvent resté dans l’ombre. L’ultime plaisir procuré par ce film étant qu’il confère au spectateur une irrépressible envie de traverser la Manche pour aller contempler « Pluie, Vapeur, Vitesse » et les autres toiles du maître à la National Gallery. Raphaëlle Chargois. ARVE Error: src mismatchprovider: dailymotion url: http://www.dailymotion.com/video/x28fcu6 src in org: https://www.dailymotion.com/embed/video/x28fcu6?pubtool=oembed src in mod: https://www.dailymotion.com/embed/video/x28fcu6 src gen org: https://geo.dailymotion.com/player.html?video=x28fcu6 [Tous Crédits Photos : Mr.Turner ©Simon Mein – Thin Man Films, 2014] |
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