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Rencontre avec Jérôme Thomas pour le Projet SKY IS THE LIMIT

15 juillet 2014
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Projet « SKY IS THE LIMIT«

Rencontre avec Jérôme Thomas

Suite à la performance de Pantonio dans le 13ème (plus grande fresque d’Europe), je décide de contacter Jérôme Thomas afin d’en savoir plus sur son projet de documentaire “SKY IS THE LIMIT”. Ce projet consiste à suivre des artistes lors de leur réalisation de grandes fresques sur des murs d’immeuble.

Projet « SKY IS THE LIMIT« .

Le thème du documentaire est basé sur la renaissance du muralisme avec la nouvelle génération.  Jérôme Thomas suit donc des artistes lors de leur performance sur des murs entiers d’immeuble.

Peux-tu nous expliquer ce que tu fais dans la vie ?

Jérôme Thomas : Je suis réalisateur de documentaires.
Je fais de la vidéo en général, depuis 2000.
Je suis passé par plusieurs métiers dont celui de la musique avec un studio à Montreuil et la création d’un label de musique.
Je suis spécialisé dans le montage vidéo.

 

astroEn quoi consiste le documentaire « SKY IS THE LIMIT » ?

Jérôme Thomas : Il sert à rendre compte d’un phénomène qui est local, régional, national et international depuis maintenant, à peu près, 70 ans, depuis le muralisme mexicain dans les années 30.

En France, le top départ à été donné dans les années 80 (1983) avec l’opération « 13 murs 13 villes » de Jack Lang. Puis ensuite le phénomène a disparu et a repris avec la tour 13 et aussi avec l’agression publicitaire et le financement des rénovations de bâtiment public par les marques qui ont envahi les façades et les pignons de murs aveugles.

 

JACEComment t’es tu lancé dans un tel projet ?

Jérôme Thomas : Je suis dans le milieu du graffiti depuis une vingtaine d’années. Katre m’a demandé, la veille d’attaquer la tour 13 son collage éphémère et son graff, de venir le filmer.

Il s’est retrouvé en carafe pour que quelqu’un l’aide à coller. Je n’étais pas censé monter et je suis donc monté…non sans « frayeur ».

C’est en étant sur la nacelle que je me suis écrié « Eureka ». J’ai enfin un axe pour traiter le graffiti de manière intéressante et surtout circonscris vu que le sujet est vaste.

SKY IS THE LIMIT – MARKO93

 

Est ce que c’est ton 1er doc sur le monde du street art ?

Jérôme Thomas : Non. En 2009, j’ai sorti un documentaire qui s’appelait « trait pour trait » où je croisais les différentes disciplines d’art urbain : graffiti, slam, rap, littérature et même light graff.

Dans ce documentaire, il y avait Marko (Marko93), Atlas et des rappeurs comme Oxmo Puccino, Seth gueko. Atlas faisait un collage d’affiche 4 par 3, Marko faisait une démo de light graff et nous expliquait le body painting. J’avais déjà à cœur de croiser différentes disciplines urbaines, mais sans aller au fond. C’était un doc pour la chaîne Game One.

Là je suis plutôt sur un 2ème documentaire, sachant que je filme le graffiti depuis 20 ans.

 

Comment va t-il se présenter ?

Jérôme Thomas : J’hésite entre un axe plus documentaire avec une partie historique, voix off, présentation classique et un côté plus street dans le sens plus direct, plus reportage où je me mets un petit peu en scène.

 

Un doc pour tout le monde ou un doc par artiste ?

Jérôme Thomas : J’hésite à mélanger tous les murs ou un traitement mur par mur. Les codes de ce type d’objet vidéo voudraient que l’on mélange évidemment tous les murs et que l’on croise les thèmes. Maintenant, le fait de rester sur le même mur, ça permet de rester dans le même univers et ça peut être pas mal. Ça me permettrait de le découper en plusieurs modules.

Sachant que c’est un livre documentaire donc le documentaire va me prendre beaucoup plus de temps que le livre, mais l’objet principal c’est le livre.

SKY IS THE LIMIT – ASTRO

 

Combien et quels sont les artistes qui participent ? :

Jérôme Thomas : Il est prévu une dizaine d’artistes en tout.

KATRE (13ème)

Pantonio (13ème)

ASTRO (VITRY)

MARKO93 (AULNAY)

STEW (13ème)

 
Comment ont-ils été choisis ?

Jérôme Thomas : Les façades d’immeuble sont assez rares, mais elles s’enchaînent en ce moment. C’est un bonheur. Je prends donc les artistes à chaque fois qu’ils se présentent, c’est aussi simple que ça.

Je n’ai pas de critère de sélection. J’espère juste avoir une diversité dans les techniques et dans les univers. Sachant qu’il y a quand même au niveau environnement, un grand nombre de murs qui est proposé dans le 13ème dont le maire, Jérôme Coumet qui est très actif dans ce domaine, seront à l’honneur. Mais je me suis mis un point d’honneur à aller filmer, à Aulnay, Marko93 dans un tout autre contexte. J’ai circonscrit le sujet, à la base, à Paris et sa banlieue, mais j’irai filmer Inti à Mulhouse en octobre

Le fait de baigner dans le monde du graffiti depuis un certain temps, t’a aidé ?

Jérôme Thomas : Oui au niveau du réseau c’est essentiel. KATRE étant, entre guillemets, mon fixeur.

Ensuite, j’ai pas mal travaillé pour la Galerie ITINERANCE, en travaillant…entre guillemets…J’ai filmé, on a été graffer dedans illégalement…tout ça a crée des liens, donc m’a ouvert des portes par rapport à ça.

Ensuite il y a d’autres artistes qui ne sont pas issus du graffiti mais qui sont heureux d’être suivis.

Je ne fais pas juste un travail de captation vidéo mais que dans certains cas et dans certaines journées, j’ai travaillé avec eux en faisant soit le « conducteur » de la nacelle, soit en aidant à coller, soit en passant du rouleau, notamment cet hiver parce qu’il faisait froid et que je demandais à Stew de me laisser me réchauffer en passant le rouleau.

marko93Pas de problème de vertige pour certains ?

Jérôme Thomas : Soit on a le vertige et on ne le fait pas, soit on l’ignore. Mais je pense que les gens qui ont vraiment le vertige ne peuvent pas peindre ce genre de chose. Sur le mur d’Astro, il y a un ami qui est venu l’aider. Les 1ères heures ont été difficiles car il était obligé de redescendre et après de remonter, mais pas trop haut. Mais au fur et à mesure, il a oublié le vertige en peignant.

Après c’est surtout un plaisir d’être en hauteur. Pour ce qui est de la vue que j’ai en ce moment même (il répond en direct de la nacelle avec Pantonio à coté de lui) c’est un régal car on a une vue quasiment à 240 degrés et qu’il y a tellement de détail que l’on ne se lasse jamais de la vue. On en prend plein les yeux et le ciel est changeant tous les jours. C’est assez extraordinaire.

Sachant que nous sommes très tributaires de la météo et que c’est plus la météo le souci que le vertige.

SKY IS THE LIMIT

Est ce qu’ils ont un thème à suivre ou est ce qu’ils sont libres de faire ce qu’ils veulent ?

Jérôme Thomas : Non, mais ils restent dans leur domaine. On est sur quelque chose entre artisanat et artiste.

Ce n’est pas l’exécution d’une commande, ils proposent des sketches qui sont quand même relatifs à leurs travaux à leur expression, à leur style.

Il y a une prédominance du figuratif mais on se rend compte aussi que l’abstrait à quelques bons cotés parce que les réactions sont moins vives, moins tranchées face à de l’abstrait que face à du figuratif.

Par exemple, les guerriers BANTUS de KOUKA, il y a eu des réactions négatives sur le fait que ce soit des guerriers africains peins de 25 mètres de haut.

Sur de l’abstrait, comme ASTRO, les gens y voient ce qu’ils veulent y voir. Il y a moins de polémique là dessus.

 
Comment sont choisis les endroits ?

Jérôme Thomas : C’est donc un accord entre artiste et bailleurs sociaux et souvent la mairie.

Le maire, par exemple dans le 13ème, fait office de « commercial » auprès de bailleurs sociaux.

Ce ne sont donc pas des surfaces trouvées au hasard, c’est choisi d’un commun accord. Il y a les bailleurs sociaux mais il y a aussi les syndics qui valident le projet et dans certains cas, pas tous, il y a une présentation qui est faite aux habitants et des fois, ils le découvrent au moment où c’est peint. Ce qui crée des tensions, voir entre habitants, ce qui était le cas à Aulnay.

Je pense que plus ça va et plus politiquement, le processus va s’améliorer.

Tout reste à construire pour que soit bien accepté et bien vécu par les habitants.

L’extrême majorité sont favorables, voir très favorables et enjoués par le final.
 

Tu as essuyé des refus de mairies ?

Jérôme Thomas : Moi je ne fais aucune demande auprès des mairies, je suis les artistes.

En général, les mairies de droite sont contre et les mairies de gauche sont plutôt favorables, mais on ne peut pas généraliser.

A Aulnay, le maire de gauche avait lancé le processus. Au moment où le mur s’est fait, c’était une mairie de droite et il n’a pas interdit le projet…je pense que ça aurait été difficile. Mais il n’est pas venu à l’inauguration. Il n’en a strictement rien à faire. Tout comme il n’en a rien à faire de ce quartier qui est tout simplement abandonné puisque nous étions aux 3000. Ça fait 30 ans que l’on ne fait rien pour les habitants et que des choses positives ne sont même pas assimilées par ce type de mairie.

Maintenant, il y a aussi une forme d’instrumentalisation de certains maires. Mais bon, c’est l’instrumentalisation la moins grave et la plus positive que je connaisse au niveau de l’expression libre.

SKY IS THE LIMIT

Quelles sont les réactions des passants au vue des performances ?

Jérôme Thomas : Ce qui est intéressant c’est un art qui est populaire car il s’expose au moment de sa création au vu de tout le monde. Donc tout le monde est libre de s’exprimer et de dire que c’est horrible

Ce qui se passe souvent, ce sont des renversements, c’est à dire des gens qui sont hostiles à la peinture car ils ne comprennent pas que l’on ne peint pas un mur de 60 mètres de haut en 1 semaine et que le processus est entre 1 semaine voire 1 mois et demi selon la taille des murs.

Il y a donc des évolutions sur les habitants, sachant qu’on les croise plusieurs fois par jour…plusieurs fois par semaine.

Ça fait partie du jeu. Les habitants qui aiment restent scotchés. Il y a énormément de gens qui s’arrêtent prendre des photos.

Ils sont souvent attirés par le bruit de la nacelle.

C’est cette interaction qui est intéressante. On est dans une forme, un peu, de peinture sociale.

Pour les artistes ce n’est pas toujours facile à gérer car quand on est en train de peindre, on a déjà la pression de faire les choses bien. Il faut subir des fois des gens énervés, qui sont juste malpolis. Tous comprennent que l’on ne peut pas aimer tel ou tel style, mais après c’est plutôt une manière de dire car la plupart sont vraiment mal polis.

Ça s’emporte un peu des fois mais c’est assez rare et on ne retient que le positif en général.

 
stewComment est financé le projet ?

Jérôme Thomas : Le financement est un sujet taboo.

Certains sont payés 4500 euros, d’autres 1000 euros et d’autres qui ne sont pas payés du tout.

Il y a une sorte d’équivoque étant donné que ce sont des artistes. Donc on considère que ça peut être à eux de financer leur projet.

Dans le cadre d’ASTRO ça été financé par des marques. Le loueur de nacelle à été payé par une marque de graffiti qui s’appelle ESKIS.

Il y a beaucoup de choses sponsorisées. Les bombes aussi sont sponsorisées par, par exemple, MONTANA BLACK.

Il y a donc un soutien du domaine privé, même si il est lié à des marques qui sont dans le milieu du graffiti…qui donc développent leur image avec ça.

Ce qui est sûr c’est que dans les années 80, il y avait des sommes de 140 000 francs qui étaient dépensées dans des projets similaires et que maintenant, crise aidant, des artistes ayant accepté de peindre pour quasiment rien, pour simplement gagner de la notoriété…ça devient difficile de trouver des budgets.

Maintenant, Il y a des frais incompressibles comme les frais de nacelle qui sont entre 400 et 1000 euros par jour, sur lequel on ne peut rien faire.

Le financement est donc multiple : personnel, au niveau des artistes, public de manière extrêmement restreinte, c’est à dire quasiment aucun argent n’est pris sur les impôts, ce qui soulage souvent les habitants qui sont en colère.

Après il y a un soutien du privé.

 
De ton coté, comment finances tu « SKY IS THE LIMIT« ?

Jérôme Thomas : Mon projet est auto-financé, auto-produit.

Pour moi c’est un temps de travail passion, non rémunéré. Mais je ne regrette pas car je pense qu’en ce moment s’écrit une nouvelle page du muralisme avec une nouvelle génération d’artiste qui ne sont pas les muralismes classiques. Ce ne sont pas des artisans, qui ne peignent pas des trompe l’œil. C’est la 2ème grande vague de muralisme.

Dans une période, en plus, où l’art et tous les crédits sur l’art, de culture, sont revus à la baisse. Paradoxalement je pense que c’est la période où il faut que l’art soit le plus présent, tout simplement être un moyen de soutien moral et de vie cérébrale pour les gens qui passent.

Sachant que l’on rejoint le graffiti dans le sens où ce n’est pas aux gens de venir à des vernissages dans des galeries fermées, cloisonnées, remplies de gens…ce sont les gens qui tombent sur cette « toile » version XXL que sont ces pignons de mur aveugle.

C’est une forme d’art démocratique et populaire et qui veut toucher des personnes qui ne sont pas là pour l’art…juste là sur leur trajet et se retrouvent dans une faille temporelle où ils s’arrêtent…ils sont stoppés dans leur trajectoire pour contempler souvent l’artiste qui peint.

Souvent quand tu reviens sur les murs qui sont déjà peints, les gens ne s’arrêtent plus.

Ce qui est passionnant c’est le processus de création…le processus de finalité ne scotche plus les gens. C’est de voir l’artiste en action qui est intéressant.

Je suis en plus sur un challenge parce que je fais un livre. Je filme autant que je fais de photos et j’utilise un appareil assez extraordinaire, assez léger, qui est un LUMIX G3. Ça me permet un peu d’innover, de me remettre en question techniquement et de m’adapter aux conditions de tournage qui sont extrêmes…pas toujours non plus mais où il y a un certain danger. Les conditions de sécurité ne sont que rarement respectées.

marko93wallEst ce que tu t’es fixé une date butoir pour le finir ?

Jérôme Thomas : Non, pas de date butoir. C’est parti pour encore 6 mois de tournage et 3 ou 4 mois de montage + livre

Est ce que tu as quelque chose à rajouter ?

Jérôme Thomas : C’est un documentaire qui demande beaucoup de patience, beaucoup d’abnégation.

On filme un processus artistique qui est très long et fastidieux.

Ce sont des surfaces qui ne sont pas les plus jouissives pour les artistes.

Il y a une période de combat et de sport relativement longue pour les artistes. Il s’agit de rendre compte de cette lenteur de processus, sachant que dans l’objet vidéo c’est toujours assez compliqué.

Donc c’est pour ça que j’utiliserai sûrement pas mal de timelapses pour montrer le temps qui passe avec des images un peu poétiques de nuages qui passent, de circulation etc…

En terme de rushes, c’est assez monstrueux ce que j’accumule. J’ai monté à chaque fois un teaser pour pouvoir derusher, pour ne pas me retrouver avec une centaine d’heures à gérer.

Tous les chapitres que l’on vient de voir (financement, les artistes, la sécurité, le processus créatif…) seront bien sûr évoqués.

SKY IS THE LIMIT

Propos recueillis par Antoine Quaglia

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