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“The Rubbish Collection” : entretien avec Joshua Sofaer

2 juillet 2014
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“The Rubbish Collection” : entretien avec Joshua Sofaer

Le 2 juillet 2014

Le 2 juillet 2014

Joshua Sofaer est artiste, curateur, directeur, écrivain et professeur, établi au Royaume-Uni. Alors que sa pratique comporte de multiples facettes, son art peut néanmoins être caractérisé par un engagement envers la participation du public, ainsi qu’une exploration des thématiques liées aux déchets et à l’esthétique des matériaux. Parmi ses projets figure « Scavengers » (pilleurs de poubelles) à la Tate Modern, au SFMoMA et au Edinburgh Festival. Sofaer a aussi été nominé pour de nombreuses récompenses, dont le ANTI Festival International Prize for Live Art, qui sera annoncé en septembre prochain.

Art Media Agency a eu la chance de s’entretenir avec Sofaer à propos de son projet actuel « The Rubbish Collection » au Science Museum, qui se déroule jusqu’au 14 septembre 2014. Il évoque aussi l’importance de la participation du public et le lien entre art et science.

Qu’est-ce qui vous a amené vers l’art ?
J’ai commencé par étudier l’art dramatique et la littérature anglaise. J’ai connu une grande déception avec le processus théâtral, j’ai donc été au St Martins College of Art. Ma pratique actuelle allie la performance et les arts visuels. Je suppose que les productions des dix premières années de ma carrière peuvent être qualifiées de performances personnelles. Après, j’ai opéré un virage à 180° et je me suis intéressé au public. Le travail que j’effectue depuis une dizaine d’années environ tourne autour de la manière dont le public prend part au contenu du travail en discussion. Les médiums que j’utilise, ou les réalisations finales, sont vraiment variés. Je suis heureux dans un théâtre, comme je le suis dans une galerie, un musée ou encore dans un contexte communautaire.

Le fil conducteur entre mes pièces est la réflexion sur l’association du public. Le travail qui a précédé « The Rubbish Collection » était la direction d’une nouvelle version de l’opéra de Bach, St Matthew Passion, à Stockholm. Je collaborais donc avec un opéra. Maintenant, je travaille sur les déchets avec le Science Museum. Ces deux contextes sont donc vraiment différents. Mais, d’une certaine façon, le même sujet est abordé : la manière dont je peux faire participer le public et le confronter avec l’enjeu soulevé.

Pouvez-vous détailler votre projet actuel, « The Rubbish Collection » au Science Museum ?
Nous construisons une archive photographique de chaque chose qui est jetée au cours du mois. Le projet est constitué de deux phases. Chaque déchet est trié et photographié. Il peut provenir d’ordures d’un des visiteurs, comme le gobelet de café d’un restaurant, l’huile de la friteuse de l’un des sept cafés, la pièce d’un équipement scientifique devenu inutile, ou encore des reliquats de bureau. Chacun de ces éléments est amené à un espace d’archivage temporaire, composé de six tables d’archives larges, de deux mètres et demi de longueur. Des portiques, où se trouve une caméra, les surmontent. Les déchets arrivent. Les membres du public, ainsi que le personnel et les bénévoles, ouvrent les sacs d’ordures, vident le contenu et les documentent.

Dans la deuxième phase, nous suivons ces matériaux quand ils sont jetés dans les emplacements du bâtiment dédiés à cet effet. Il y a deux voies principales pour ces déchets : la premère est le recyclage et l’autre l’incinération. Cette dernière solution crée de l’énergie. Nous accueillons ces matériaux transformés au sein du Science Museum pour une exposition de matériaux produits à partir des ordures. Il y a différents types de cendres et de métaux de base qui sont produits via ce processus. Vous pouvez imaginer ces tours géantes de papier, créées à partir de papier recyclé, ou encore les granules pour animaux fabriqués à partir du plastique ou des canettes en aluminium broyées ensembles. Je ne vais pas réaliser une œuvre d’art avec des déchets, bien que le projet en soit une. Mais, je suis intéressé par l’exposition des matériaux. Donc, l’idée d’exposition est plus importante que l’idée de sculpture, par exemple.

Les rebuts sont au centre des thématiques que vous abordez dans votre travail depuis longtemps. Qu’est-ce qui a initialement attiré votre attention sur ces enjeux ? Pourquoi pensez-vous que l’art est un moyen pertinent pour les traiter ?
À l’origine, je me suis intéressé à ce sujet sous l’angle de la pratique artistique, l’idée du ready-made, apportant quelque chose dans la galerie et y ajoutant de la valeur. D’une certaine façon, c’était une critique du marché de l’art. Le projet « Scavengers » était une incursion effrontée dans le marché de l’art. L’idée était d’amener les gens à me payer afin que je pille les objets que je voulais utiliser, afin de mettre en place une exposition d’art, un commentaire sur la manière dont l’art fonctionnait dans ce monde. Les gens achetaient un ticket. Ils me ramenaient les objets et créaient l’exposition à partir de cela. Je suppose qu’une partie de la question était de savoir ce qu’il allait arriver à ces choses qui n’étaient rien, qui avaient été jetées, puis amenées dans un musée.

Il y a une longue histoire du concept du ready-made, qui atteint son apogée quand Manzoni a mis en conserve ses propres excréments et les a apportés dans un musée. C’est l’idée du déchet ultime et de son statut au sein d’une institution muséale. Dans « The Rubbish Collection », nous allons exposer des déchets de visiteurs du musée, de telle sorte que des litres et des litres d’excréments qui sortent de ce bâtiment sont traités, puis reviennent, comme le truc appelé gâteau de boue. C’est comme de la terre, complètement inerte. Tout ce que vous obtenez au final, c’est environ un mètre cube. Cette idée de valeur a été rendue encore plus compliquée par ces idées d’estimation intrinsèque des matériaux, en terme de coût, le coût du matériau le plus élevé que nous allons exposer est très certainement l’acier. Mais, il s’agit aussi de ce qu’ils permettent de faire ou de produire. Après tout, rien ne disparaît. Lorsque vous jetez quelque chose, il sort de votre esprit, mais il se transforme juste.

La participation du public est au cœur de votre travail. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?
Je pourrais dire qu’il n’y a aucune oeuvre qui ne soit pas participative. Même si vous regardez une peinture, vous participez en quelque sorte à l’œuvre. Mais, je pense que l’engagement le plus actif demande aux gens de faire face directement aux sujets en question. Dans ce cas de figure, en leur demandant de traiter directement avec les déchets eux-même, j’espère qu’ils le verront différemment. Je ne parle pas seulement ici d’un changement de comportement ou de les encourager à moins gaspiller, mais de valoriser les matériaux. Il ne s’agit pas uniquement de la dilapidation des ressources naturelles, mais aussi des qualités esthétiques des déchets, ou, plus particulièrement à cette étape, des histoires qui émergent des sacs poubelle. Chaque fois que vous en ouvrez un, cela peut s’apparenter à une sorte d’archéologie contemporaine. Vous vous intéressez à l’histoire des personnes qui l’ont constitué.

Vous avez réalisé une courte vidéo sur le « Live Art » (l’Art en direct). Pouvez-vous nous expliquer ce terme ?
Le « Live Art » est un terme qui a émergé au Royaume-Uni dans les années 1990, comme un moyen de rassembler les pratiques artistiques qui n’appartiennent pas au champ du théâtre, mais qui ne sont pas réellement des Beaux-Arts non plus, selon la définition de l’époque. Ce terme générique réunit des pratiques qui ne cadrent pas exactement avec l’ancienne catégorie. Je pense que c’est un vocable qui identifie un genre différent de pratique. Mais, à présent la performance joue un rôle considérable dans les arts visuels. C’est devenu absolument normal. Dans un certain sens, cela l’a toujours été, mais les musées et les galeries ont contribué à ce rattrapage.

La Tate Modern de Londres a construit une aile immense consacrée à la performance. Marina Abramović s’y adonne à la Serpentine Gallery. Ce revirement indique que la performance est l’une des nombreuses techniques, méthodes ou encore médiums, que les artistes utilisent. Le terme « Live Art » est toujours pertinent selon moi, mais l’urgence des années 1990 n’existe plus. Il y a maintenant de la performance partout. Je n’accole jamais cette étiquette à mes réalisations. Je pense que pour un public qui n’appartient pas au monde de l’art, cela n’est d’aucune aide. Ils ne savent pas ce que c’est. Mais, je l’utiliserais si je l’évoquais dans le contexte artistique, ou si je veux expliquer l’histoire du travail que je suis en train d’effectuer, ou dans un contexte plus large.

Que pensez-vous de l’interdisciplinarité entre les sciences et l’art ?
Je suis de plus en plus curieux concernant le concept de neuro-esthétique. Cette branche des neuro-sciences essaye de comprendre l’expérience culturelle. Il y a de nombreuses choses qui ont déjà été déterminées ou comprises, par exemple, la zone du cerveau qui est activée lors d’une expérience esthétique. Lorsque je parle d’esthétique, ce n’est pas synonyme de beauté. Je parle d’esthétique dans le sens le plus large possible. Cette zone est celle de l’introspection, réceptive de la nostalgie, ou des souvenirs de l’enfance, ou encore des choses qui vous affectent personnellement. Cet élément est profondément utile et productif pour quelqu’un comme moi, pour l’art sur lequel je travaille. Donc, en entraînant les gens à relier cela avec des données personnelles, ce que j’essaye de tester est l’augmentation de l’expérience personnelle du public.

Quels sont vos projets pour le reste de la journée ?
Je vais me rendre au Science Museum. Cela va se dérouler jusque tard, car le musée ouvre ses portes jusqu’à une heure tardive une fois par mois. Les visiteurs peuvent venir jusque 22 heures. Donc, nous allons trier des déchets toute dans la soirée. J’essaie de rassembler mes forces pour cette journée de tri !

Art Media Agency 

 

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