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Être artiste au Vietnam : entretien avec Nguyen Phuong Linh

2 juillet 2014
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Être artiste au Vietnam : entretien avec Nguyen Phuong Linh

Le 2 juillet 2014

Le 2 juillet 2014

L’année France-Vietnam représente une bonne occasion de découvrir la scène artistique vietnamienne. Nguyen Phuong Linh, une jeune artiste vietnamienne vivant à Hanoi, participait en février dernier au festival Made in Asia à Toulouse. Elle se confie à AMA sur cette scène en pleine croissance…

Comment en êtes-vous venue à participer en février dernier au festival Made in Asia à Toulouse ?
J’ai rencontré Didier Kimmoun, le directeur du festival, en juin 2013. Il faisait quelques recherches sur la scène artistique vietnamienne et m’a proposé de participer à l’exposition « Feminity ». J’y ai présenté mon tout premier travail Allergy, fait de sous-vêtements rebrodés d’environ 10 kilos d’ongles. Cela ressemble un peu à une armure métallique pour femme forte et courageuse. Mes débuts étaient très axés sur le féminisme mais depuis j’ai évolué vers un style plus minimaliste et conceptuel. À Toulouse, j’ai également réalisé une performance lors du vernissage de l’exposition de Tiffany Chung.

Alors la performance est désormais votre médium favori…
La performance est un médium qui s’est beaucoup répandu parmi les artistes vietnamiens car peu onéreux et facile à mettre en place dans de grands espaces. On peut utiliser son propre corps ou des matériaux très simples. Comme c’est un médium important pour le développement de l’art contemporain au Vietnam, j’ai créé avec d’autres amis artistes le festival international IN:ACT, qui a lieu tous les ans. Lors du festival, nous donnons des conférences et organisons des performances interactives avec le public. Didier Kimmoun est tombé d’accord avec notre constat et c’est pour cela qu’il m’a invitée à faire une performance à Toulouse.

En parlant de IN:ACT… Le festival a été mis en place à l’époque du Nha San Studio qui s’appelle maintenant Nha San Collective. Quelle est la différence ?
Nha San Studio est le premier espace dédié aux artistes contemporains au Vietnam. Il a été créé en 1998 par un artiste qui s’appelle Luong et initialement, cet espace était basé chez mon père. On peut dire que Nha San a soutenu le développement de la première génération d’artistes contemporains au Vietnam, mais en 2010, il a dû fermer. À cette époque, j’étais en charge de la programmation et lors du festival IN:ACT, une des artistes a réalisé une performance durant laquelle, elle s’est retrouvée entièrement nue devant le public. Cela a généré un énorme scandale qui a envahit les télévisions, les magazines et même pire, a atterrit sur des sites pornos. Tout le monde parlait d’elle en mal dans le pays, et nous avons fini le lendemain au commissariat. Quoi qu’il en soit et même sans lieu qui nous était propre, nous restions quand même un groupe de neuf artistes qui se connaissaient depuis l’enfance, d’où le nom de Nha San Collective. Le lieu change, le groupe reste le même.

Est-ce difficile aujourd’hui de diriger un espace dédié à l’art au Vietnam ?
Oui, très difficile. Premièrement, le gouvernement n’attribue aucune subvention et les instances culturelles étrangères offrent des aides mais uniquement pour des projets thématiques ponctuels. Le problème, c’est que ce n’est pas suffisant pour pouvoir louer un lieu, faire face aux dépenses administratives ou encore payer l’électricité. Il est donc financièrement compliqué de créer un espace artistique indépendant. Deuxièmement, la censure reste très présente et très stricte au Vietnam. Le gouvernement n’apprécie pas du tout l’art contemporain donc dès qu’il est question d’un projet contemporain à venir, ils ont déjà en tête que ce sera quelque chose de stupide et de dangereux.

Quels sont les sujets soumis à la censure au Vietnam ?
Essentiellement ce qui touche à la politique ou au sexe. Vous êtes censuré quand votre travail est trop explicite et même des fois pour des raisons absurdes, juste parce que votre travail n’est pas compris. À l’époque du Nha San Studio, comme tout se déroulait chez mon père, nous contournions l’absence de permission en renommant les expositions, « réunions familiales ». Aujourd’hui avec le Nha San Collective, nous utilisons le terme de « studio ouvert », ce qui correspond à un événement d’un jour. L’artiste travaille dans un studio pendant deux à trois mois et ensuite, ce studio est ouvert au public du matin au soir et il est alors possible d’échanger librement avec l’artiste.

Et le public vietnamien pour l’art contemporain…
Les Vietnamiens ne sont pas très réceptifs à l’art contemporain. Notre audience locale est surtout composée d’étudiants en art. En fait, concernant la promotion de l’art contemporain au Vietnam, tout reste à faire. Par exemple, l’Association communiste des beaux-arts publie des magazines spécialisés mais toujours avec un ton très conservateur. Le Nha San Collective essaie de publier ses propres supports sur l’art contemporain mais le processus d’édition reste très onéreux. Nous sommes obligés de produire peu d’exemplaires, imprimés sur du papier de faible qualité et nous les faisons circuler entre nous.

Est-ce difficile aujourd’hui d’être un artiste contemporain au Vietnam ?
Si vous êtes membre de l’Association communiste des beaux-arts, vous pouvez recevoir un salaire pour peindre de la propagande. Sinon, les artistes comme moi, ne reçoivent aucune subvention de l’État. L’art contemporain au Vietnam est essentiellement soutenu par des acteurs étrangers, institutionnels ou entreprises. Par exemple, Mercedes Benz qui soutient l’espace San Art à Saigon ou encore récemment l’Ambassade du Danemark au Vietnam qui a créé le Fonds de développement et échange culturel (CDEF) qui soutient particulièrement les artistes contemporains. Des institutions culturelles telles que le Goethe Institute, le Japan Foundation, le British Council ou l’Institut Français offrent également des subventions mais juste assez pour des petits travaux ponctuels. Et le plus souvent, ce sont les artistes déjà connus qui en bénéficient… Ceci-dit, étant donné la récente situation économique, tous les budgets sont revus à la baisse. La plupart d’entre nous survivons grâce à des petits boulots supplémentaires, comme donner des cours ou faire du design freelance.

Et le réseau de galeries ?
Il existe des milliers de galeries commerciales au Vietnam mais très peu s’intéressent à l’art contemporain ou présentent de l’art expérimental. Je n’en connais pas à Hanoi et on en dénombre seulement une à Saigon, la galerie Quynh. Elle est tenue par une vietnamienne américaine et jusqu’à maintenant on peut dire que c’est la galerie d’art contemporain la plus professionnelle au Vietnam.

Comment voyez-vous la scène artistique et le marché de l’art évoluer dans les années à venir ?
Pour l’instant, on ne peut pas parler de marché de l’art au Vietnam dans la mesure où la majorité des collectionneurs sont étrangers et très peu sont vietnamiens. Je pense que c’est pour cela que nous devons nous concentrer sur le système éducatif. La plupart des artistes contemporains suivent des cours à l’École des beaux-arts du Viêtnam, créée dans les années 1920 par les français, mais les «Beaux-Arts » enseignent uniquement les techniques traditionnelles et ne proposent pas de cours d’art contemporain. Les artistes contemporains d’ici sont donc le plus souvent autodidactes. Nous n’avons pas non plus de curateurs donc la scène artistique contemporaine n’est ni vraiment professionnelle ni vraiment internationale. Avec le Nha San Collective, nous essayons de changer cette donne et d’ailleurs nous avons mis en place des programmes éducatifs pour la jeune génération. Nous invitons des artistes et curateurs de tous horizons à venir faire des conférences et des workshops avec les artistes vietnamiens.

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