Jane Campion – Michel Ciment, rencontre croisée
Jane Campion par Jane Campion Un livre de Michel Ciment Sortie le 26 mai 2014 Éditions Cahiers du Cinéma |
C’est dans un des luxueux salons de l’hôtel Carlton que ce samedi ont été réunis quelques chanceux de la presse et deux personnalités : la réalisatrice (et présidente du jury cannois cette année) Jane Campion et le critique Michel Ciment. Presque 30 ans de passion et de rencontres unissent ces deux-là. C’est au travers d’un livre édité par les éditions Cahiers du Cinéma, richement illustré, que l’on retrouve l’évolution de leurs échanges, de leurs rencontres, du cinéma de la réalisatrice déjà maintes fois primée.
La rencontre est émouvante. La disponibilité de la réalisatrice est étonnante. Pour nous, et malgré son emploi du temps bien chargé de présidente du jury, elle restera plus de 30 minutes à parler en toute humilité. Son rire résonne dans la salle et elle n’hésite pas à se lever de son fauteuil pour montrer aux journalistes une photo présente dans le livre et vaguement évoquée. Voici un aperçu retranscrit de ce moment cannois cinéphile, généreux et très certainement hors des codes, à l’image de Jane Campion. Michel Ciment – Mes premiers entretiens avec Jane Campion ont eu lieu pour ses courts métrages. Elle était venue chez moi pour ça à Paris en 1986. En 1989, j’ai découvert Sweetie, l’un de mes coups de cœur de ce festival ; à partir de là, on s’est rencontrés à chaque film, comme ça s’est passé avec Kubrick, Liv Ullman ou d’autres. Est arrivé le moment où je me suis dit qu’il était temps de rassembler tout ça, d’ajouter des études sur chacun des films, de chercher une iconographie avec l’aide formidable des éditions des Cahiers du Cinéma… Je ne pouvais pas imaginer faire un livre qui ne soit pas richement illustré car c’est une artiste extrêmement visuelle — même si le dialogue est toujours très important et d’une grande qualité — qui parvient à faire ressentir ses films. D’où les 280 photos du livre. Je tenais à dire mon admiration pour la vision poétique de Jane Campion, l’art suprême par excellence. J’aime énormément mettre les artistes en contact. J’avais été très touché par Sweetie et par sa somme de détails qui m’avaient fait penser à la poésie d’Emily Dickinson. Quand j’en ai parlé à Jane, elle m’a alors révélé qu’elle ne connaissait pas Emily Dickinson, et je lui ai modestement fait découvrir. Je n’aime pas les artistes qui se répètent, qui d’une certaine manière ont trouvé une formule qu’ils se contentent de reproduire. Il y a néanmoins chez Jane Campion un fil rouge, et c’est mon rôle de critique de le trouver. Jane Campion – Ce livre m’a permis de comprendre des choses à propos de mes propres films. Mes films naissent d’une idée, d’une énergie, d’un besoin fort, qui parfois ne figureront pas dans le montage final du film. Michel m’a poussée à faire des tas de recherches pour lui fournir des images du film, ce qui m’a forcée à fouiller dans mes archives mais aussi dans ma mémoire, dans chacun de ces films qui ont fait ma carrière. Michel Ciment – Il y aura bien sûr une possibilité d’actualiser ce livre au fur et à mesure de l’avancée de la carrière de Jane. Ça n’a rien d’un livre définitif. Si je me retourne sur les entretiens successifs que j’ai eus avec Jane Campion, je me dis qu’elle n’a pas beaucoup changé. Ni prétentieuse ni taiseuse, elle a toujours été une brillante théoricienne de son cinéma, tout en restant très authentique. Elle n’a pas tant changé que cela en 30 ans. Jane Campion – Michel Ciment, comme tous les amoureux du cinéma, est quelqu’un d’extrêmement précautionneux quand il entame avec vous une conversation au sujet du cinéma. Et cette conversation, on ne peut pas l’avoir avec tout le monde. Il faut qu’un rapport de confiance se crée. Michel s’est toujours gardé de me faire des recommandations — travailler tel ou tel sujet, épouser un certain style —, mais c’est quelqu’un de vrai et honnête qui a gardé malgré tous les films qu’il a pu voir une vraie ouverture et une vraie sensibilité. Je pense que c’est assez rare de trouver des gens de sa qualité. Il m’a offert un compagnonnage et un rapport de confiance. Jane Campion – J’aime que l’art me dépasse, me submerge, qu’il me prenne comme ça sans que je comprenne forcément pourquoi. Je me souviens de ces petites filles métamorphosées par la lecture de poèmes de John Keats sur le tournage de Bright Star. Soudain, elles n’étaient plus les mêmes. C’est ce que j’aime ressentir et tenter de faire ressentir au cinéma. Et c’est aussi de ça que parle le livre de Michel. Lucille Bellan |
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